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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mai 1847

5 mai [1847], mercredi matin, 7 h. ¾

Bonjour, toi, bonjour vous. Allez-vous à la Chambre aujourd’hui ? Je le voudrais, ne fût-cea que pour avoir le bonheur d’achever mon intéressante conversation avec l’aimable Mlle Féau. Chemin faisant, je vous ramènerais, si vous vouliez, mais je n’y tiens pas, voime, voime, pas plus qu’à mon dessin, pas plus qu’à ma culotte, pas plus qu’à mes ciseaux, pas plus qu’à vos baisers et à votre amour.
Ce fait étant bien démontré, j’insiste pour que vous ne me priviez pas par votre faute du plaisir de revoir la toute gracieuse Céleste [1] aujourd’hui. J’en ai absolument besoin.
Vous savez que je m’émancipe et que je déjeune au cabaret vendredi sans vous ? J’avoue cependant que la partie me semble médiocre et que pour un peu et même pour rien je ne la ferais pas. Je ne suis pas assez primitive pour me contenter de si peu. J’aimerais autant assister aux joyeux débats de deux merlans en tête-à-tête dans un tiroir de commode, ce serait juste aussi folâtre et aussi drôle que Juju attablée avec Mme Guérard en regard d’une tête de veau en tortue. Enfin cette pauvre femme s’imagine m’être bien agréable en m’offrant cette distraction et je lui tiens compte de l’intention. Mais j’aimerais mieux un cataplasme avec toi que du veau avec elle. Voilà mon goût.

Juliette

MVH, α 7895
Transcription de Nicole Savy

a) « fusse ».


5 mai [1847], mercredi après-midi, 2 h. ¼

Dites donc vieux chinois, pourquoi donc ne m’avez-vous pas emmenée avec vous ? Est-ce que vous avez eu peur que je vous prenne votre aubar [2] par hasard ? Au fait c’est que j’en suis très capable. Après vous l’avoir demandé inutilement, j’arriverai à vous le prendre de force, quand je devrais répandre votre raisiné [3] sur le grand trimard [4]. Vous n’auriez que ce que vous méritez. En attendant je tire la langue comme cela [5] devant toutes les boutiques de nouveautés. Toto prenez garde à vous, car voici les grandes chaleurs et vous savez que la femme est de la race canine chez laquelle la rage se déclare spontanément. J’ai déjà très mal à la gorge. J’aurais pourtant bien désiré aller chez Mlle Féau. Quel affreux taquin vous faites. Quel féroce homme vous êtes. Quel abominable Toto vous avez l’honneur d’être. Si jamais je me tire de vos griffes, je ne serai pas prête d’y revenir, vous pouvez m’en croire. Dieu, je ne peux pas avaler ma salive et encore moins vos inqualifiables procédés. Je suis furieuse et j’étrangle. J’ai envie de vous faire des tas de méchancetés, de fourrer mon nez dans tous vos gribouillis. De tripoter et de barbotera dans toutes vos notes. De me vautrer dans toutes vos élucubrations. Hum ! quelle bonne vengeance. D’y penser l’eau m’en vient à la bouche, une fois, deux fois, trois….. Toto prenez garde à vous . Eh ! bien baisez-moi alors.

Juliette

MVH α 7896
Transcription de Michèle Bertaux

a) « barbotter ».

Notes

[1Mlle Féau se prénomme Célestine.

[2« Aubar » ou « aubert » : l’argent, en argot.

[3Le sang, en argot.

[4Sur le grand chemin.

[5Ici, un croquis de Juju tirant une immense langue.

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