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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mars 1847

8 mars [1847], lundi matin, 10 h.

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour. Je voudrais m’arrêter sur ce bonjour car je sens que je suis sur une pente glissante qui me fera tomber dans la râbacherie, dont j’ai tant de peine à me sortir une fois que j’y suis. Aussi je voudrais pour tout au monde m’éloigner de tout ce qui peut contribuer à m’en rapprocher. Pour cela il faudrait que je n’écrive pas un mot et que je n’ouvre pas la bouche et encore je ne suis pas bien sûre de ne pas grogner et de ne pas être très méchante.
Quand je pense que je ne te verrai pas ce soir je suis si triste et si découragée qu’il m’est impossible de ne pas en laisser échapper quelques plaintes douloureuses. Pourtant cela ne me soulage pas car j’ai la conviction que, loin de t’attendrir, cela t’ennuie on ne peut pas davantage.
Enfin, mon pauvre bien-aimé, je suis on ne peut plus mal disposée ce matin. Tantôt je l’espère je serai un peu moins décontenancée puisque je te verrai. D’ici là, je vais m’occuper de reprendre mon calme et ma résignation afin de te montrer une figure tranquille sinon heureuse.

Juliette

MVH, α 7853
Transcription de Nicole Savy


8 mars [1847], lundi soir, 5 h. ¾

Tu emportes avec toi ma joie et mon bonheur, mon cher bien-aimé. Mais tu me laisses tes douces protestations pour consolation, pour force et pour résignation. Merci mon Toto bien-aimé, merci du fond du cœur car je commençais à me sentir défaillir. Quand je suis deux jours sans te voir c’est au-dessus de mon courage. Je ne peux pas définir ce qui se passe en moi mais il me semble que mon âme se meurt. Tu m’as promis de revenir ce soir, mon doux Victor, si l’heure et le temps le permettent. J’espère que le bon Dieu aura pitié de moi de toute façon et que j’aurai le bonheur de te baiser cette nuit. En attendant, je vais bien penser à toi, bien te désirer et bien t’aimer. Je crois que je n’aurai pas le courage de sortir du coin de mon feu. Je brocanterai quelques petites coutures que j’ai mises de côté depuis longtemps. Je lirai mon dimanche et puis peut-être quelques pages de ton livre sur les prisons. Tu vois que je ne manque pas d’occupations ni de distractions et que lorsque je souffre c’est bien parce que tu me manques. Il faudra que tu me donnes un de ces jours une petite culotte [1], je sens que j’en ai le plus pressant besoin. Cela me redonnerait du nerf pour quelque temps. Et puis tu me l’as promis tu sais. Il faudra tâcher d’arranger cela le plus tôt possible n’est-ce pas mon cher petit homme, mon grand artiste, mon sublime poète, mon divin amant, n’est-ce pas que tu voudras bien ? J’y compte et je t’adore.

Juliette

MVH, α 7854
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1Se donner une culotte : faire ripaille, bombance.

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