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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 février [1847], mercredi matin, 11 h., anniversaire de 1833 [1]

Bonjour, mon Toto, bonjour mon printemps, bonjour mon soleil, bonjour ma joie, bonjour ma vie, bonjour. Tu as bien fait de revenir cette nuit. Tu fais toujours bien de me donner tous les instants dont tu peux disposer puisque c’est me donner en même temps le bonheur, la santé et la vie. Dorénavant nous ne laisserons pas passer sans lui donner un sourire le jour anniversaire de notre amour. Par le jour c’était hier que nous aurions dû le fêter, par la date c’est aujourd’hui que nous devons le bénir. En me trouvant si seule hier dans ma chambre, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer à chaudes larmes. J’avais à peine essuyéa mes yeux quand tu es venu. Je craignais que tu ne t’aperçussesb du triste emploi que j’avais fait de ma soirée, aussi je me suis tenue enfoncée dans mon oreiller pour te cacher ma figure. Aujourd’hui je ne crains pas de te la montrer toute radieuse du souvenir de notre bonheur passé, toute calme et toute confiante dans notre bonheur à venir, heureuse et fière de mon bonheur présent. Car je suis heureuse, bien heureuse. Car je suis sûre que tu m’as aimée, je crois que tu m’aimes et j’espère que tu m’aimeras toujours. Avec ces trois convictions je me compose toute une vie de joie et de suprême félicité. Ce soir tu m’écriras un petit mot dans mon Livre rouge [2], n’est-ce pas mon adoré ? C’est encore une sainte tradition à laquelle je tiens plus que je ne peux dire et à laquelle nous ne devons pas manquer sous peine d’ingratitude et de malheur.
Quant à moi, si je pouvais, je ferais de chacune des minutes où je te vois des pieux anniversaires, de chacun de tes baisers un chapelet d’amour et de la trace de tes jolis petits pieds des reliques vénérées que je baiserais avec dévotion.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 29-30
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Pouchain]

a) « essuier ».
b) « apperçusse ».


17 février [1847], mercredi soir, 6 h., anniversaire de 1833

J’ai besoin de me justifier à tes yeux, mon adoré, de la scène involontaire que je t’ai faite contre toute prévision et presque à mon insu. Je m’étais fait une si grande et si douce joie par la pensée de passer quelques heures ce soir avec toi que la déception m’a trouvée sans force et sans résignation, parce que la raison n’avait pas eu le temps de les préparer. Maintenant je regrette le mal que je t’ai fait, le temps que je t’ai fait perdre et la vilaine figure que je t’ai montrée. Je le regrette pour toi, mon pauvre doux adoré, dont les minutes sont si précieuses et dont le cœur est si généreux. Car pour moi je n’ai plus rien à regretter puisque tu as su tirer si habilement parti de toutes ces choses douloureuses, que tu en faisa des sujets de joie, de tendresse et de confiance. Je t’en remercie à genoux ; et, pour que tu n’en souffres plus en y songeant, je bénis ce gros nuage qui, en crevant tantôt, m’a fait un beau ciel bleu pour longtemps dans mon horizon. Cependant ne serait-il pas prudent, pour continuer cette métaphore, de ne pas tenir aussi exactement compte de l’état atmosphérique de mon cœur. Ce bureau des longitudes de mon amour n’est peut-être pas sans danger pour notre tranquillité à tous les deux et, pour ne parler que de tout à l’heure, il est clair que sans ma lettre d’hier rien de triste ne nous serait arrivé aujourd’hui. Penses-y, mon adoré, peut-être vaudrait-il mieux supprimer ces bulletins quotidiens qui mettent trop souvent en évidence les brouillards, les pluies, les nébuleux, les variables et les tempêtes qui vont et viennent dans ma vie ? Si tu ne le crois pas, n’en parlons plus car pour moi il est certain que ce serait une grande privation.
Si tu ne peux pas venir ce soir, mon Victor bien-aimé, je te promets d’être bien courageuse et de ne pas pleurer. Si tu viens je serai bien heureuse mais je ne veux pas y compter pour conserver mon calme et ma résignation. En attendant, je vais bien penser à toi, à tout ce que tu m’as dit de bon, de doux, de tendre, de grand, de noble, de sublime et de divin pour en extraire tout l’amour dont mon pauvre cœur a si soif et toute l’adoration que tu mérites.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 31-32
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « fait ».

Notes

[1La première nuit d’amour de Juliette Drouet et de Victor Hugo a eu lieu le 16 février 1833.

[2Le Livre de l’anniversaire ou Livre rouge est celui où Juliette conserve précieusement les lettres que Hugo lui adresse chaque année pour célébrer la date de leur première nuit d’amour.

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