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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 15 décembre 1854, vendredi soir, 4 h.

Cher petit bien-aimé, la distance de surcroît de chez toi [à] chez moi n’arrive guère à propos à cause de ces temps de pluie et de brouillard. Ce soir, entre autresa, il fait un margouillis fort peu encourageant même quand on est comme toi encaoutchouqué. Tiens, te voilà. Tiens, te voilà… plus. C’est affaire à toi de bailler aux gouttières et aux cocottes trempées sous prétexte d’inspiration. Enfin tu es heureux c’est tout ce qu’il faut. Du reste je n’ai pas encore pu écrire les histoires que tu m’as racontées hier. Je compte le faire ce soir parce que je suis sûre de ne voir personne. Une fois le père Durand et le couple Préveraudb épuisés je n’attends plus personne du dehors. Aussi, mon cher petit bien-aimé, je vais mettre ma soirée à profit, si cela peut s’appeler profit que de gribouiller à tire larigotc, à tort et à travers, sur le tiers et le quart, de bric et de broc. Je n’ai pas encore eu le temps de terminer cette aimable Restitus. Je te donne mon cœur en bloc c’est plus tôt fait et meilleur.

16 décembre [1854], samedi après midi, 2 h.

Il ne m’est pas difficile de retrouver le fil de mon cœur, aussi je reprends mon discours après vingt-six heures d’interruption où je l’ai laissé sans le moindre embarras. Les tendresses se soudent l’une à l’autre et les baisers se suivent et se ressemblent comme les jours et la pluie dans cette île charmante et humide. Cela ne m’empêche pas de renâcler de toutes mes forces devant le fichu travail que tu m’as donné. Autant j’aime à copire autant j’ai horreur de faire de la copie même si tu me la payais au poids de l’or et si tu me rendais d’un seul coup mes quarante-huit sous d’ancien. Aussi je frémis chaque fois que tu me racontes quelque chose dans la crainte que tu me demandesd le récépissé de ta conversation [1]. Enfin je vais m’exécuter tout à l’heure quoiqu’à vrai dire je préfère tous les autres genres de supplice à celui-là. Les Allix [2] viendront lundi, quant au docteur, il n’était pas chez lui quand Suzanne lui a porté l’invitation. En attendant je compte sur toi et je m’en lèche d’avance les barbes. Telle est ma goinfrerie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 426-427
Transcription de Chantal Brière

a) « entr’autres ».
b) « Préverault ».
c) « la rigo ».
d) « demande ».

Notes

[1À la même époque, Hugo demande aussi à sa fille Adèle de tenir le journal de l’exil où sont consignées les conversations familiales.

[2Les frères et sœurs Jules Allix, Émile Allix et Augustine Allix sont amis de Hugo.

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