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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 9 décembre 1854, samedi soir, 5 h. ¾

Vous vous habitueriez trop facilement à la privation de la Restitus, mon cher petit Dorat-Saint-Aulaire [1], aussi je vais vous en flanquer une des plus pomméesa et dont vous ne vous lècherez pas les barbes j’en suis sûre. Fichtre comme vous donnez dans les zuts de poitrine maigre et dans les tendrons bémols. Prenez garde que je ne vous chantepouille à mon tour et par une gamme ascendante avec trois manches à balais à la clef. Il paraît que les serines ettes ont pour vous des charmes et que vous ne demandez qu’à couler dessus. Outre que c’est saleb physiquementc, c’est très obscèned poétiquement et je vous défends d’aller plus avant dans votre dilettantismee libidineux et marécageux. Bigre, si on vous laissait faire votre partie dans ce concert d’amateurs je sais bien quel serait l’air que j’aurais, mon maestro, trop inflammable, mais je m’y oppose sur tous les tons y compris le bas, ton. Tenez-vous le pour dit et tâchez de ne filer d’autres sons que les miens si vous tenez à votre vie. En attendant il fait un vent du diable et un froid de loup. Je le sens d’autant mieux que je ne me suis pas encore approchée du feu aujourd’hui, la peignerie à fond, la copire et le reste m’ont tenue constamment dans ma chambre ou à ma petite table. Aussi j’ai les pieds morts de froid et le bout du nez gelé. Encore si j’avais quelques bonnes caresses de vous pour me réchauffer je ne me plaindrais pas mais vous ne venez même pas du tout, c’est chesse, même après l’apparition fugitive de Robert. Cependant la poste est venue de bonne heure et vous avez votre cidre ce soir, deux raisons qui devraient vous faire venir plus tôt si vous aviez un peu de cœur pour moi : malheureusement ce n’est plus pour moi que vous en pincez du sentiment et des fioritures. Aussi j’en suis réduite au solo le plus lugubre et toujours sur la même note : je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 418-419
Transcription de Chantal Brière

a) « pommée ».
b) « sâle ».
c) « phisiquement ».
d) « obcène ».
e) « dillettantisme ».

Notes

[1Juliette mêle-t-elle le nom du poète Dorat et celui du comédien Saint-Aulaire, membre du Théâtre-Français ?

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