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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 septembre [1846], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon pauvre cher aimé, bonjour, comment va ton fils ? Comment a-t-il passé la nuit et comment va-t-il ce matin ? Comment allez-vous tous, mes pauvres éprouvés [1] ? J’attends avec une anxiété que tu dois comprendre le moment où je pourrai savoir ce qui s’est passé. Je mets toute ma prière et toute ma confiance en Dieu pour qu’il rende tout de suite la santé à votre cher enfant, et à vous tous la tranquillité et le bonheur. Voilà un temps favorable pour ce pauvre malade, l’air s’est bien rafraîchia et c’est ce qui convient pour les congestions aux cerveaux. Que j’apprenne tantôt que ce cher enfant a passé une bonne nuit et je remercieraib le bon Dieu de toute mon âme. D’ici là, ma pensée va de l’espoir à la crainte et réciproquement, comme le balancier d’une pendule. Cela me rappelle ces [2] ……c
Je ne veux pas parler de cela, c’est trop douloureux. Mon Victor béni, je t’aime, je prie pour toi et pour ton enfant et pour toute ta chère famille. Je voudrais être à tantôt et surtout, ô mon Dieu ! je voudrais savoir que vous m’avez exaucée dans mes vœux si sincères et si ardents, et qu’il n’y a plus rien à craindre pour ce pauvre enfant. J’ai ma tête malade, je ne peux pas penser sans souffrir. Cher adoré, mon Victor, je t’aime et j’aime tout ce que tu aimes. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 93-94
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « raffraichi ».
b) « remercirai ».
c) Les six points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.


2 septembre [1846], mercredi soir, 7h.

Je t’ai vu enfin, mon doux adoré. Il était temps car malgré mon courage et ma résignation je sentais que le cœur allait me manquer. Oh ! c’est que je sens bien tout ce que tu souffres, mon Dieu, je le sens avec mes tristes et récents souvenirs [3], je le sens avec mon amour, je le sens comme si j’avais ton âme dans la mienne et mon cœur dans le tien. Pauvre pauvre bien-aimé, pourquoi ne puis-je pas te faire un bouclier de ma tendresse contre toutes les mauvaises choses de la vie, pourquoi Dieu ne l’a-t-il pas voulu, ne l’a-t-il pas rendu possible ? Avec quelle joie je t’aurais donné la mienne, de vie, pour en faire de la santé et du bonheur pour toi et pour toute ta famille. Je te dis cela bien souvent, mon Toto, parce que c’est bien, bien vrai et que je regrette amèrement l’impossibilité de le faire dans toutes les occasions où tu es triste et malheureux comme aujourd’hui. Pourvu que cette nuit soit meilleure que l’autre, mon Dieu, pourvu que tes forces et ton courage suffisent pour supporter la fatigue et l’inquiétude affreuse tout le temps que durera encore cette atroce maladie ? J’ai le cœur plein d’angoisse et de douleur. Loin de trouver des consolations, je te tourmente de mes craintes et de mon désespoir. Cependant, le bon Dieu est toujours là et je t’aime plus que jamais. Que faut-il donc de plus pour avoir confiance et pour espérer ? Espère, mon adoré, espère. Je [sais ? sens ?] que le bon Dieu a pitié de toi et de ta sainte femme et qu’il vous rendra bientôt votre enfant guéri. Je baise tes pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 95-96
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Charles Hugo a la fièvre typhoïde.

[2Allusion probable aux derniers mois de Claire Pradier, où l’aggravation de la maladie alternait avec des périodes de rémission porteuses d’un vain espoir.

[3Claire Pradier, la fille de Juliette Drouet, est morte le 21 juin 1846 de la tuberculose, après une longue agonie.

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