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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 novembre [1846], samedi matin

Bonjour mon Toto, bonjour qu’on vous dit. Ça va bien et vous ? J’ai rêvé toute la nuit voyage, lacs, montagnes et légendes. Je donne plus que jamais mon piano. Je le mets plus que jamais à la loterie des inondés [1] pour pouvoir aller seulement pendant deux mois en Irlande ou ailleurs. Hélas ! il n’est pas probable que cet heureux temps de voyage, de liberté, de loisir et d’amour revienne pour moi. Je suis condamnée à la rue Sainte-Anastase [2] à perpétuité ou à Mamzelle Baucoul comme divertissement extraordinaire. Je ne peux pas croire que jamais le bonheur si éclatant, si admirable et si complet revienne pour moi car tu es tous les jours envahi de plus en plus par les affaires, d’une part, tes inspirations et tes affections de famille de l’autre. Rien ne peut diminuer ni s’amoindrir maintenant, au contraire. Aussi j’aurais bien fait de mourir il y a trois ans lors de notre dernier voyage. Je pense souvent à cela et toujours je me dis qu’il vaut mieux mourir que de survivre à son bonheur. Dans ce sentiment triste et douloureux que me causenta les regrets de mon bonheur passé il y a bien de l’amour, mon adoré, il n’y a même que cela. Je donnerais avec joie tout ce qui me reste à vivre pour une journée entière d’amour auprès de toi.

Juliette

MVH, α 7819
Transcription de Nicole Savy

a) « cause ».


21 novembre [1846], samedi midi ¾

Cher petit homme adoré, je voudrais bien que vous ayez la bonne pensée de venir travailler auprès de moi. Dans cette supposition, trop peu probable, j’ai fait mes affaires de bonne heure. Je me suis même peignée avant le déjeuner. Tout à l’heure je serai prête tout à fait et je pourrai rester auprès de vous sans vous déranger. Vous savez que j’attends toujours mon Jean Tréjean. Si vous me faites tirer la langue trop longue, je fourrerai mon nez dedans sans la moindre permission, je vous en préviens. Je farfouillerai et je brouterai à même sans le moindre remords, ce sera bien fait. Pourquoi me faites-vous désirer si longtemps ma pâture et mon plaisir ? Tiens c’est bien fait et dès aujourd’hui si vous ne venez pas bien vite je me livrerai à tous les excès sur tous vos manuscrits. Allez, maintenant, je ne vous dis que ça. J’espère que vous voudrez bien me faire l’honneur de me répondre au sujet de toutes ces choses, que sans cela j’emploierai votre manière avec Salvandy [3] et nous verrons de quelle façon vous vous aplatireza. En attendant, je vous attends, chose assez monotone en elle-même, mais furieusement embêtante quand elle est répétée tous les jours, depuis le matin jusqu’au soir, et depuis le soir jusqu’au matin. N’importe, baisez-moi tout de même,

Juliette

MVH, α 7820
Transcription de Nicole Savy

a) « applatirez ».

Notes

[1En octobre avait eu lieu une grave inondation de la Loire. Une souscription nationale avait été lancée pour aider les sinistrés.

[2Juliette Drouet habite rue Sainte-Anastase depuis le 8 mars 1836. Le 10 février 1845, elle avait déménagé du 14 au 12 de cette rue.

[3Salvandy avait reçu le poète à l’Académie française le 3 juin 1841, avec un discours que celui-ci avait peu apprécié.

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