Paris, 11 juin 1880, vendredi matin, 7 h. ½
Cher bien-aimé, après t’avoir donné le bonjour entre cuir et chair [1], entre cœur et âme, je viens de signer pour toi un télégramme portugais t’annonçant le succès du centenaire de Camöens [2] et t’en rapportant tout l’honneur pour la part que tu y as prise, en le glorifiant comme tu l’as fait. La nation portugaise t’envoie l’expression de son éternelle reconnaissance [3]. Hélas ! il pleut ! il pleut ! il pleut éperdument [4] ! Le piètre Barnabé et sa béquille sont sans effet devant la gouttière affolée de cette vieille ganache pleurarde de Médard [5]. Nous n’avons plus qu’à nous voiler la face de nos parapluies pendant tout l’été, que le diable les emporte ! À l’exemple de Gribouille [6], je vais tout à l’heure me plonger dans un bain, c’est encore le meilleur moyen de se soustraire à l’humidité de ce saint marécageux. En attendant qu’on me le prépare, ce bain, je t’apprends avec bonheur que ton cher Petit Georges a passé une très bonne nuit et qu’il va très bien ce matin. J’espère que c’est bien tout à fait la fin de la crise annuelle du rhumatisme dont il a tant souffert dans son enfance qui va toujours s’affaiblissant, heureusement. Je te fais souvenir que Lecanu vient déjeuner ce matin et qu’il doit t’apporter les papiers que lui as demandés. Je te fais souvenir aussi, pour que tu ne l’oublies pas, que JE T’ADORE.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 156-157
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin