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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 octobre [1846], dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour mon cher amour adoré, bonjour, je te baise au front, aux yeux, à la bouche, partout et ailleurs. Comment vas-tu ce matin ? Comment vont tes fils, comment va Charlot ? Je regrette de n’avoir pas pensé hier à te dire que je pouvais écrire aux petites filles [1] et à Eugénie de ne pas venir dîner aujourd’hui dans le cas où tu aurais pu venir dîner avec moi ce soir. J’espère pourtant que ce ne sera pas un motif suffisant pour t’empêcher de venir dans le cas où tes gamins dîneraient en ville ? Ces jeunes filles sont très bien élevées et très convenables de toute manière et elles sont jeunes et jolies, ce qui équivaut à beaucoup de quartiers de noblesse, même vis-à-vis des pairs de France. Dans tout cela, je ne verrais que moi de compromise si vous veniez dîner ce soir. Mais bah ! je me risque, quitte à vous tuer plus tard. Ainsi donc, mon cher bijou, tâchez de venir dîner ce soir, vous verrez que cela ne vous ôtera pas l’appétit, au contraire. Eh ! Toto, que je vous y prenne, pôlisson. Je crois que je commence déjà à me repentir de la permission que je vous ai donnée. Décidément je suis une grande imprudente. Taisez-vous, traître. Jour Toto, jour mon cher petit o, papa est bien i mais je ne veux pas qu’il montre ses belles dents à toutes les petites filles et à toutes les faumes ou femelles qui peuvent les voir sans lunettes. Je ne le veux pas, entendez-vous, scélérat !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 179-180
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


4 octobre [1846], dimanche après-midi, 3 h. ½

À quoi pensez-vous donc, mon amour, de ne pas venir plus que ça ? Ce n’est certainement pas à moi. Car si vous y pensiez seulement un peu vous sauriez que je vous attends, que je vous désire et que je vous aime et que je suis triste loin de vous, et vous viendriez tout de suite, toute chose cessante.
Que font donc vos gamins aujourd’hui ? Dînent-ils en ville et dois-je espérer le bonheur de vous traiter ce soir ? Je n’ose pas m’y fier, j’aime mieux avoir le plaisir de la surprise que le chagrin de la déception, ce qui ne manquerait pas de m’arriver si je me fourrais cet espoir dans la tête. J’aime mieux penser à la promenade sur la colline et au bord de la rivière que nous faisions ensemble il y a huit jours juste à cette heure-ci et par un temps exactement pareil [2]. Et, quoique le souvenir en soit triste et mélancolique, je m’y complais et ne veux pas le changer contre la vie du moment qui est si seule et si vide sans toi. Mon adoré bien-aimé, tu ne sais pas, et mes informes gribouillis ne peuvent pas t’en donner la plus petite idée, combien et comment je t’aime. C’est plus que le plus, quelle que soit l’extension à ce superlatif. Je t’aime plein mon cœur, plein mon âme, plein le monde entier, plein le ciel et plein les étoiles. Je ne vis qu’en toi, par toi et pour toi, tu es ma joie et mon bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 181-182
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Ce sont les deux plus petites filles de Mme Rivière, qui rendent fréquemment visite à Juliette Drouet. L’aînée, Louise Rivière, était une amie de Claire Pradier.

[2Du 25 au 28 septembre 1846, Victor Hugo a emmené Juliette Drouet en Normandie. Le dimanche précédent, ils sont à Caudebec.

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