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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 novembre [1849], samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour de l’âme et du cœur, bonjour. Si mes baisers avaient des ailes comme les oiseaux [1], ta chambre serait une volière dans laquelle ils viendraient s’abattre au risque de l’encombrer et de ne pas te laisser la place ou poser le pied. Malheureusement ce ne sont que de pauvres tendresses sans queues ni têtes qui ne dépassent pas le bord de mes lèvres. Comment vas-tu, mon adoré ? À quelle heure es-tu revenu de chez tes marchands de vin ? Malgré ton avertissement je t’ai espéré hier, sinon attendu, et je ne me suis couchée qu’après onze heures. Il m’est impossible, dès que tu as passé le seuil de ma porte, de ne pas t’espérer comme si je devais te revoir tout de suite. C’est plus fort que moi et que ma raison. Ou plutôt cette espérance fait partie de moi-même ; je t’espère et je t’attends comme je respire et comme je t’aime. Les moments où je ne t’espère pas il semble qu’il y a la moitié de mon âme qui se meurt. Aujourd’hui je fais des vœux pour que rien ne s’oppose à ce que tu viennes à l’heure indiquée par toi. Nous verrons si le bon Dieu les exaucera. En attendant je pense à toi avec bonheur et avec reconnaissance. Je t’adore et je te bénis, je te baise et je me prosterne. Tu es le meilleur des hommes, tu en es le plus grand par le génie, tu en es le plus beau par le visage, tu en es le plus sublime par l’adoration dont tu es l’objet. Je voudrais mourir pour un de tes sourires au risque de ressuscitera par un de tes baisers.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 321-322
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Souchon]

a) « ressuciter ».


24 novembre [1849], samedi soir, 10 h.

Je ne te verrai donc pas ce soir, mon bien-aimé ? C’est donc vrai ? Il n’y a pas la plus petite chance que le dîner de Girardin|lien=article5405> soit mauvais et les convives ennuyeux au point de te faire regretter ta pauvre Juju et te ramener auprès d’elle un petit moment ce soir ? C’est triste. Cependant je t’aime cela vaut bien un perdreau truffé ? Je t’adore, ce qui pourrait être plus amusant qu’un premier Paris dialogué ? Autrefois tu le pensais ainsi. Maintenant tes opinions se sont bien stupidement modifiées malheureusement pour moi. Puisqu’il en est ainsi bourre-toi des succulentes bâfreriesa de Mme Girardin|lien=article5405> et gave-toi de la politique creuse du mari. Je ne m’y oppose pas et pour cause, c’est que je n’en aib pas le pouvoir. Sans cela je suspendrais votre goinfreriec à mes crocs et je vous régalerais de mon proprio motu à indiscrétion. Taisez-vous ventru, taisez-vous satisfait, taisez-vous et tâchez que la sueur du peuple ne vous monte pas à la tête et ne vous soule comme du petit bleu d’Argenteuil [2]. Moi pendant ce temps-là je vais me coucher assez piteusement et très mal en point. Il est probable que je dormirai mal car tout m’annonce une mauvaise nuit. D’abord je ne vous verrai pas, ensuite j’ai des douleurs d’estomac à créer deux maladies dont une seule suffirait à me tenir éveilléed toute la nuit. Je regrette, mon petit homme, que tu n’aies pas pris ton paletot pour revenir ce soir. Je sais bien qu’il y avait l’ennui pour toi de t’en charger une partie de la journée mais l’inconvénient était moindre, tu en conviendras, que de risquer une fluxion de poitrine. Je vais prier le bon Dieu de veiller sur toi et de te préserver de tout mal. Bonsoir REPU, bonsoir adoré, aie soin de toi et ne te couche pas trop tard je t’en prie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 323-324
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « baffreries ».
b) « n’ai ».
c) « goinffrerie ».
d) « éveillé ».

Notes

[1Juliette Drouet paraphrase le poème « Si mes vers avaient des ailes… », écrit en 1841, qui sera publié dans Les Contemplations (II, 2) en 1856.

[2Vin médiocre.

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