22 novembre 1849

22 novembre [1849], jeudi soir, 7 h.

J’ai confiance en toi, mon bien-aimé, je sens qu’il est impossible que tu veuilles me tromper, c’est-à-dire me tuer, surtout ce soir et dans les circonstances présentes, ne t’inquiète donc pas de moi, mon Victor, si ce n’est pour tâcher de revenir me voir. Sois heureux sans remords^a car je n’ai dans le cœur à l’heure où je te parle d’autre sentiment que celui de l’amour le plus tendre et le plus confiant. J’ai bien regretté de n’avoir pas eu le courage physique^b de t’attendre à ta sortie de l’Académie mais j’ai depuis plusieurs jours une douleur très vive dans la région des reins et du bas-ventre qui me fatigue et me fait souffrir beaucoup quand je reste trop longtemps debout. Je craignais en stationnant au froid sur ce quai de ne pouvoir plus rentrer chez moi, ce qui m’est presque arrivé le jeudi d’avant où je suis allée jusqu’à la rue de la Planche sans trouver d’omnibus. Je suis rentrée chez moi assez penaude et fort mécontente de mon expédition. Il ne faudra rien moins que ta bonne petite visite de ce soir pour me consoler de tout ce que j’ai perdu par ma faute tantôt. Mais pourras-tu revenir ? Je le désire sans oser y compter tant j’entrevois d’impossibilité entre mon désir et sa réalisation. Si tu n’avais pas été forcé d’aller de chez Pradier chez ton beau-frère, peut-être aurais-tu pu venir me dire un petit bonsoir sans te gêner beaucoup. Cependant, mon adoré petit homme, je te sais si bon que je ne perds pas tout espoir de te revoir ce soir. En attendant je t’aime à toute vapeur.

Juliette

Collection particulière / MLM/ Paris, 71952
Transcription de Gérard Pouchain

a) « remord ».
b) « phisique ».