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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 novembre [1849], samedi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon Toto, bien, bien, bien-aimé, bonjour. Ne te réveille pas. Tu n’as pas le droit, toi qui te couches si tard. Ce n’est pas comme moi qui me couche avec les poules et qui me lève idem, mais c’est si triste de veiller seule, même quand on s’occupe, que, malgré soi, on s’endort après une heure ou deux. C’est une vie de marmotte peu amusante en somme, j’aimerais mieux travailler auprès de vous à mon Jean Tréjean [1] et me reposer dans vos bras. Je trouverai cela moins bête et beaucoup plus doux. Mais je n’ai pas le choix, malheureusement, c’est ce qui me force à radoter toujours sur le même sujet. Du reste je t’écris de mon lit où je reste le plus longtemps que je peux pour économiser mon bain. Le brouillard est tellement épais que j’y vois à peine pour te grifouiller toutes ces billevesées. Heureusement que je peux t’écrire les yeux fermés sans nuire à la beauté de mon écriture et sans me tromper dans ce que j’ai à te dire et que je sais par cœur depuis bientôt dix-sept ans. Aussi l’obscurité ne m’arrête pas AU CONTRAIRE, mon amour ne peut pas être soumis aux même vicissitudesa que les dépêches télégraphiques interrompuesb par le brouillard. Aucun accident atmosphérique ne peut le toucher, il n’est sensible qu’à tes baisers et à ton indifférence. Par les premiers il monte jusqu’au bonheur le plus radieux et le plus rayonnant ; par la seconde il tombe jusqu’au plus sombre et au plus affreux désespoir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 299-300
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « viscissitudes ».
b) « interrompu ».


10 novembre [1849], samedi matin, 11 h.

Je trouverais bien dur et bien injuste, mon cher petit homme, que vous allassiez à l’Assemblée sans moi, même sous le prétexte chaumontélique [2] d’une convocation dans les bureaux. Dans ce cas-là, le moins que vous puissiez faire pour donner une apparence de vraisemblance à cette convocation indue, ce serait de venir m’en avertir avant d’y aller ; pour que, dans le cas où je serais assez prête pour vous accompagner, je ne perde pas mon pauvre petit trajet. C’est dans cette intention que je vais me dépêcher de me peigner et de m’habiller. Cher petit homme, vous ne savez pas combien je tiens à toutes les minutes où je peux être avec vous. Si vous le saviez vous n’en seriez peut-être pas si chiche. Je compte sur vos billets de toutes mes forces et j’irai aujourd’hui, si j’en ai le temps, en avertir ma marquise [3]. Je voudrais bien encore pouvoir compter avec certitude sur toi le jour où les provisions arriveront de Brest [4]. Dans tous les cas je te les enverrai chez toi mais cela ne me ferait pas le même plaisir que de les manger avec toi. J’espère qu’elles pourront, les provisions, se garder un jour ou deux pour te donner le temps de te dégager d’autre parta si tu étais déjà engagé. Maintenant je vous aime comme tout, je vous attends idem et je me dépêche comme une dératée. Tâchez d’en faire autant de votre côté et nous ne seronsb pas si longtemps sans rejoindre nos deux bouts.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 301-302
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « d’autres parts ».
b) « nous ne seront ».

Notes

[1Jean Tréjean est le premier titre donné aux Misères, futurs Misérables, dont Juliette Drouet est la principale copiste. Victor Hugo a suspendu l’écriture de son œuvre le 21 février 1848.

[2Voir « Chaumontel » dans le glossaire.

[4Juliette Drouet attend des provisions envoyées par sa sœur et son beau-frère, Renée et Louis Koch.

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