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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mars 1854

Jersey, 20 mars 1854, lundi matin, 7 h. ½

Je commence cette heureuse journée par une restitus matinale comme vous voyez, mon cher petit homme. Cela tient à ce que j’ai le bonheur dejà éveillé par la pensée de notre Balthazar de ce soir. Autrefois, c’était toujours par cette action de grâce envers notre amour que j’engrenais tous mes jours les uns après les autres ; maintenant, hélas ! je me contente de t’aimer en dedans à part les rares occasions qui me rappellent mon bon vieux temps de ma jeunesse. Celle d’aujourd’hui en est une que je ne veux pas laisser passer sans la saluer au passage du cœur, de l’âme, des yeux, de la bouche, des pieds et des mains et des pattes de mouches. Mais, celui-ci ne comptera pas sur la carte de ce soir, il manquera à cette petite fête gastronomique son principal mérite, son plat du milieu, son suprême de… tout. Tant il est vrai que l’appétit vient en mangeant et que le rôti amour devient de plus en plus rare mais celui-là n’a aucun sel, c’est égal je ne ferai pas la dégoûtée et je m’emplirai de vous le plus que je pourrai ce soir. Le bonhomme Durand s’est en allé hier aussitôt après le dîner, à neuf heures. Je ne l’ai pas retenu à cause de ses habitudes de poulailler, mais, quelle ribambelle de mais, j’espère que ce soir il ne se mettra pas la tête sous l’aile avant que tu ne lui en donnes toi-même le signal, c’est-à-dire le plus tard possible. C’est bien le moins quand je vous paie de la viande et du vin que vous me supportiez pendant quelques minutes. En attendant je vais mettre les petits plats dans les grands avec les quatre sous que vous m’avez si généreusement donnés. Si je ne fais pas mieux ça n’est pas de ma faute, vous n’en doutez pas, n’est-ce pas, mon cher petit goinfrea ? Il faut que je me dépêche de vous gaver de toutes sortes de bonnes tendresses et de doux baisers, en attendant que je vous rassasie ce soir, car la Suzarde n’est pas expéditive en cuisine, c’est là son moindre défaut. Approchez-vous que je vous en fourre plein vos poches.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 112-113
Transcription de Chantal Brière

a) « goinffre ».

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