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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 octobre [1849], dimanche soir, 11 h.

Mon cher bien aimé adoré, je ne veux pas me coucher sans m’être demandé pardon à moi-même de ne t’avoir pas écrit un seul mot de tendresse depuis hier. Je crois que malgré tous les empêchements qui se sont succédéa j’aurai bien de la peine à obtenir ce pardon de mon pauvre cœur rancunier et vindicatif quand il s’agit de son bonheur. Quant au tien, je ne suis que trop sûre de son indulgence, hélas ! Et rien ne me prouve qu’il se soit aperçu de cette disette de gribouillis depuis deux jours entiers. Taisez-vous ! cela vaudra mieux que de mentir. Votre silence ne sera pas plus significatif que certain fait MUET  ! Pourvu que vous n’en n’aimiez pas une autre, c’est tout ce que j’ose demander au bon Dieu maintenant. Mais si jamais j’acquerrais la certitude que tu en aimes une autre, je ne sais pas ce que je ferais car d’y penser seulement cela me donne une sorte de vertige moral très douloureux. Cher bien aimé, tâche de m’aimer encore, de m’aimer toujours si tu ne veux pas que je devienne folle. Bonsoir, adoré, dors bien.

Juliette

MVHP, Ms, a9054
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « succédés ».


14 octobre [1849] [1], dimanche soir minuit

C’est encore moi et mes petits papiers. D’abord je suis terrible et je ne vous ferai pas grâce d’une seule patte de mouche tant que les miennes, de pattes, ne me refuseront pas le service, mais tranquillise-toi cependant mon cher adoré car cela touche à sa fin pour ce soir. D’abord parce que mon privilège ne me permet pas d’aller plus loin pour aujourd’hui, ensuite parce qu’il est tard et que je veux absolument aller à Saint-Mandé demain

2ème  feuille, 14 octobre [1849] dimanche soir minuit

ainsi que nous en sommes convenus ce soir. Je serais la plus malheureuse des femmes si je ne pouvais pas porter cet argent à M. le Curé demain. Cette dette pèse sur moi presque comme une honte aussi j’ai hâte de m’en libérer le plus tôt possible, non que M. le curé ne soit pas le meilleur et le plus discret des hommes mais il y a de certaines dettes qui engagenta plus que l’honneur et celle-ci est du nombre. Aussi grâce à toi je vais pouvoir l’acquitter demain. Merci, mon bien-aimé, merci de m’avoir assuré ce dernier asile [2]. Je te bénis et je t’aime du fond de mon cœur reconnaissant.

Juliette

Collection particulière / MLM / Paris, 62461
Transcription de Gérard Pouchain

a) « engage ».


14 octobre [1849], dimanche soir, 11 h. ¼

Je ne veux pas me coucher sur les vilaines pensées que je viens d’évoquer de peur qu’elles ne me poursuivent en rêve et que toute ma nuit ne la ressente de cette méchante préoccupation. D’ailleurs, mon cher adoré, bien aimé, tu es si ineffablement bon pour moi que j’ai tout à fait le droit de m’y tromper et de croire que c’est du bel et vrai amour CONTRÔLÉ et au bon TITRE. C’est avec cette persuasion que je te donne tout ce que j’ai de plus doux et de plus tendre en moi en échange. J’avais envie d’en charger Vilain tout à l’heure mais, outre qu’il n’était pas très décidé à aller chez toi, je ne suis pas assez sûre de son adresse comme commissionnaire pour lui confier ce que j’ai de plus précieux au monde, mon amour. Je ne veux pas d’autre confident que mon gribouillis habituel, celui-là est au fait de tout mon cœur depuis le premier baiser jusqu’à la dernière jalousie, rien ne lui échappe. C’est un intermédiaire peu dangereux et qui est toujours de l’avis du dernier qui lui parle. A preuve, c’est qu’il souffre que je dise tout le mal possible de moi et que je vous fasse toutes les platitudes du sans en être, autrement ému, décidément, je l’aimerais mieux un peu moins impartial.

Juliette

MVHP, Ms, a9055
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


14 octobre [1849], dimanche soir, 11 h. ½

Qui paie ses dettes s’enrichit et je tiens beaucoup à m’enrichir ne fusse que pour voir comment on est quand on est RICHE. Aussi, avant de me coucher, je veux m’acquitter et me RÉACQUITTER vis-à-vis moi-même, pour jouir à mon aise d’une bonne conscience et d’un cœur satisfait dans tous ses devoirs. Ce n’est pas ma faute, mon cher petit homme, si je n’ai pas réussi dans la négociation de vos souliers, mais le vertueux désintéressement de cet artiste CONCIERGE s’est dérobé adroitement à toute ma rhétorique. Il m’a été impossible de le débusquer de ses prix éloquents mais peu honnêtes. J’espère que tu en trouveras difficilement un plus cher, c’est ce qui me console dans mon insuccès. Il est clair que ce pauvre Vilain est indignement rançonné par ce portier modèle et pas assez cordonnier. Du reste, j’en avais le pressentiment car je voulais aller chez lui tout de suite avec ton soulier pour en avoir le cœur net. Maintenant nous savons à quoi nous en tenir.
La seule chose qui m’ennuie dans tout cela c’est de te savoir sans chaussures par le temps qu’il fait et trop occupé d’autre part pour songer à te faire faire des souliers. J’avoue que ceci m’inquiète et me donne de la colère contre ce [illis.] d’usurier. Je ne lui pardonnerai jamais son affreuse industrie s’il est cause du moindre bobo pour toi.

Juliette

MVHP, Ms, a9056
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1La dette d’honneur de Juliette à l’égard du curé de Saint-Mandé (où est enterrée Claire) fait dater cette lettre de 1849, après la mort de Claire, plutôt que de 1838, date à laquelle Claire n’est pas encore entrée à Saint-Mandé. Dans le fichier de la BnF, Juliette note « 1e feuille » et « 2e feuille » à cette époque. Elle évoque dans la lettre du 15 octobre sa visite le jour même à Saint-Mandé.

[2Juliette Drouet sera enterrée à Saint-Mandé, à côté de sa fille Claire, morte trois ans plus tôt.

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