Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1849 > Octobre > 11

11 octobre [1849], jeudi matin, 7 h.

Bonjour, vous, bonjour, toi, bonjour mon amour, ma joie, ma vie et mon bonheur, bonjour. Je suis si enrhumée que je n’y vois pas clair. J’éternue sans relâche et mon nez ressemble à une borne fontaine. Cela ne m’empêchera pas d’aller vous attendre chez la mère Sauvageot, je vous prie de le croire. Vous voyez avec quelle conscience j’utilise tous mes tronçons de papier pour ne pas toucher aux vôtres ? Vous devriez reconnaître cela par beaucoup de billets de la loterie des artistes. Mais vous êtes si peu généreux que c’en est décourageant. Cependant je ne me décourage pas dans l’espérance de vous attendrir et de vous ramener à des sentiments plus dignesa d’un représentant de 117 milleb Parisiens [1].

11 octobre, jeudi, 2ème feuille

Il n’y a que la Juju pour avoir ces confiances-là. Taisez-vous. Vous ne partagerez pas avec moi le gros lot. Vous bisquerez [2], mais je serai inflexible. Ce sera à votre tour de tirer la langue pendant que je serrerai le cordon de mes vingt-cinq milleb francs. Oh ! Quel nez de représentant ! Oh ! Quelle culotte je me donnerai. Quel bonheur !!! D’y penser j’en ai des crampes de bonheur. Après cela il est encore temps de vous associer à ma fortune. Il faudrait n’avoir pas cinq francs dans son gousset et deux sous de cœur dans sa poitrine d’homme pour se priver d’une aussi magnifique spéculation. Hélas ! Je crains que vous n’ayez la main droite paralysée, ce qui vous empêchera de vérifier la chose. Cependant, comme je suis bonne Juju, je m’offre pour vous fouiller, voulez-vous ?

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/61
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « digne ».
b) « milles ».


11 octobre [1849], jeudi matin, 10 h. ½

Mon pauvre adoré, je ne sais que faire de ma tête et de mon rhume. Dès que je t’aurai mené à l’Académie, je rentrerai me coucher si je ne suis pas mieux. Dans ce moment-ci je grelotte la fièvre et j’ai un mal de tête insupportable. J’espère que je ne suis pas en retard vis-à-vis d’hier et son aimable conséquence. Mon adoré petit homme, il faudra bien que je te tourmente encore un peu pour ce brave père Rivière. Je voudrais que tu puisses jeter un coup d’œil sur ses papiers et lui dire à peu près dans quel sens il doit écrire au comte d’Heudelet [3]. À lui tout seul le bonhomme ne s’en tirera jamais

Jeudi, 2ème feuille

si tes conseils et ton appui ne lui viennent pas en aide. Je crains qu’il ne vienne bientôt me redemander ce que tu ordonnes qu’il fasse. La course est longue, il travaille toute la journée et il n’est plus très jeune. Ses campagnes comptent doublea. Enfin, mon adoré, il est probable que je vais t’obséder encore de mes sollicitations indiscrètes pour ce pauvre invalide. Il est vrai que ce sera un peu de ta faute parce que tu t’y es offert avec tant de bonté que nous n’avons pas pu y résister. Mon adoré bien-aimé, rien ne peut faire que je t’aime davantage parce que depuis le premier jour je t’ai donné tout mon cœur et toute mon âme, mais une seule de tes gracieuses bontés suffirait à faire naître une passion inratableb dans un cœur comme le mien.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/62
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « doubles ».
b) »inrattable ».

Notes

[1Le 13 mai 1849, Victor Hugo a été élu à l’Assemblée législative avec 117069 voix.

[2Bisquer : éprouver du dépit. Mot très populaire et banni du langage sérieux. (Littré).

[3Le général Comte d’Empire Étienne Heudelet de Bierre.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne