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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 août [1849], vendredi matin, 6 h. [1]

Bonjour, mon tout bien aimé, bonjour mon grand adoré, bonjour. Je ne t’ai pas écrit hier parce que j’étais abasourdie par cet affreux événement de la petite Lanvin. Il est impossible de penser froidement au désespoir d’un pauvre être qui le porte au suicide, à plus forte raison quand c’est une pauvre enfant qu’on a connue toute petite et toujours dans les plus tristes conditions de la vie. Souffrances physiquesa de toute nature, misère poignante toujours. Aussi la mort violente de cette pauvre fille m’a causé un ébranlement nerveux dont je ne suis pas encore remise. Toute la nuit je n’ai fait que m’agiter dans mon lit avec son souvenir. Pauvre créature, quel queb soit le motif qui l’ait poussée à cet acte de désespoir, j’espère que le bon Dieu lui a pardonné et qu’elle est maintenant dans des régions sereines et calmes.
Cher adoré bien-aimé, toutes ces misères, toutes ces douleurs, toutes ces catastrophes ne me font que plus sentir à quel point ton amour est ma vie, mon bonheur et mon âme. Le jour où tu ne m’aimeras plus je demanderai au bon Dieu de me retirer de cette vie pour ne pas gêner la tienne et pour n’être pas pour toi un sujet de remords. D’ici là, je vis dans la contemplation de ton amour et je m’agenouille devant ta sublime et inépuisable bonté. Je t’admire autant que je t’aime, mon amour, et j’appelle toutes les joies, tous les bonheurs, toutes les gloires et toutes les bénédictions du bon Dieu sur toi et sur tous les tiens que j’aime pour t’aimer davantage.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 225-226
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « phisiques ».
b) « quelque ».


17 août [1849], vendredi matin, 11 h.

Je n’oublie pas que je vous ai donné mon beau pot en faenza [2], mon cher petit rapace. Je voudrais bien que de votre côté vous n’oubliassiez (quel imparfait) pas que je vous attends avec la plus vive et la plus tendre impatience. Si vous étiez bien gentil et surtout si vous m’aimiez un peu de ce bon amour d’autrefois, vous viendriez travailler auprès de moi jusqu’à l’heure de votre dîner. Moi pendant ce temps-là j’emplirais mes yeux et mon âme de votre présence et je serais bien heureuse. Cependant je vous sais si occupé, si….. je tourne autour de ce vilain mot INDIFFÉRENT sans pouvoir l’éviter, que je n’ose pas espérer que vous viendrez de bonne heure et que vous restiez longtemps. Ce n’est pas ma faute si ma confiance est affaiblie car il a fallu des heures, des jours, des nuits, des mois et des années de déceptions pour en arriver là, tant elle était robuste et tant elle avait foi en votre amour. Maintenant je crois en ton éternelle bonté, en ton généreux dévouement, mais je n’ose pas aller au-delà. Si j’ai tort c’est bien malgré moi et je ne demanderais pas mieux que de l’avouer devant l’évidence. Mais toutes les apparences ne me donnent que trop tristement raison, aussi je persiste dans [ma] méchante opinion et je jouis de toutes ces hideuses conséquences sans en échapper une seule, même celle de t’ennuyer de tous ces maussades rabâchages qui ne peuvent que me rendre plus insupportable à tes yeux et à ton cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 227-228
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse


17 août [1849], vendredi, 6 h. ½

Tu ne m’as pas dit, mon petit bien-aimé, à quelle heure à peu près je pourrais te voir aujourd’hui et si nous sortirions ensemble pour être plus en mesure vis-à-vis mon impatience. Je t’attends dès à présent et je désire de toutes mes forces que tu me restes depuis un bout de la journée jusqu’à l’autre. Je n’ose pas désirer davantage pour ne pas être indiscrète, mais Dieu sait que ce n’est pas l’envie qui me manque. Tu en es bien sûr n’est-ce pas, mon cher petit homme adoré ? Eh ! bien, mon pauvre Lelion a-t-il eu enfin son tour dans la distribution des entrefilets [3]  ? Je n’ose pas l’espérer mais j’en serais bien contente si cela était. D’abord je serais libérée de l’espèce d’engagement que tu m’as fait contracter, ensuite cela rendrait service à ce pauvre homme malade et ruiné, ne fût-cea que par le plaisir qu’il en éprouverait. Plus tard l’exposition sera finie et l’éloge n’aura plus aucun but ni aucun sens. Voilà pourquoi, mon petit homme adoré, j’insiste tant pour que la chose ait lieu sans retard, au risque de te paraître bien exigeante et de t’ennuyer extrêmement. Dès que tu m’auras donné satisfaction de ce côté-là, je te promets d’être bien longtemps sans te rien demander……. pour les AUTRES. Quant à moi c’est différent, je m’engage à ne pas cesser mes réclamations jusqu’à ce que tu m’aies donné tout ce que je désire. Je te préviens que ce sera un peu long car je désire beaucoup de choses. En attendant, j’attends et je t’aime pour n’en pas perdre l’habitude.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 229-230
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « fusse ».


17 août [1849], vendredi soir, 8 h. ½

Ne te gêne pas pour dîner avec moi demain, mon Victor, car je sais que je n’en profiterais pas. À tort ou à raison, mon cœur se refuse à ce bonheur concédéa à l’importunité et à l’obsession. Quoi que tu dises et que tu fasses maintenant, mon très bon bien-aimé, je ne saurais oublier que ton premier mouvement a été d’accepter le dîner d’Eugénie, et le second de me refuser le temps que tu aurais si volontiers accordé à un dîner en ville. Ne te donne pas la peine de m’expliquer cette douloureuse contradiction car, je te le répète encore, mon cœur ne saurait prendre le change sur la persistance opiniâtre et persévérante que tu mets à te tenir éloigné de moi. Je te sais gré au fond de l’âme des prétextes multipliés que tu t’ingénies à trouver pour motiver et pour dissimuler ton refroidissement. Mais, si j’avais quelque souci de la dignité de mon amour, je t’épargnerais cette contrainte et cette dissimulation en te délivrant de ma pauvre personne. Peut-être que j’aurai un jour cette générosité. Encore quelques épreuves comme celle de ce soir et le courage me deviendra facile. En attendant, je te supplie de ne pas m’imposer ce dîner demain. Si tu veux venir souper chez moi, je tiendrai tout ce qu’il te faudra prêt. J’espère que tu comprendras que je ne peux pas me faire illusion sur le sentiment qui t’a porté à cette promesse tardive et conditionnelle et tu n’insisteras pas pour me la faire accepter bon gré mal gré. Je t’en remercie pourtant du fond de l’âme.

Juliette

MVHP, Ms a8267
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « concéder ».

Notes

[1Marie Tudor de Victor Hugo est reprise ce jour-là.

[2« Faïence » en italien.

[3Le 5 juillet, Juliette Drouet s’est engagée à agir en faveur de Lelion, dont la maquette de la cathédrale de Notre-Dame est présentée depuis le 4 juin 1849 à l’Exposition nationale des produits de l’agriculture et de l’industrie. Elle espère que le journal L’Événement, où Hugo est influent, lui consacrera quelques lignes.

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