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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 décembre [1845], jeudi matin, 9 h.

Bonjour, mon Victor bien aimé, bonjour, mon cher adoré, bonjour, comment vont tes pauvres beaux yeux ? M’as-tu pardonné ma maladresse de cette nuit ? Je ne me la suis pas encore pardonnée, moi et je m’en veux horriblement de ma stupide étourderie. Décidément je suis très bête. Il y a longtemps que tu me l’as dit et plus longtemps encore que je le sais.
J’ai rêvé de toi et de M. V. [1] toute la nuit. Cette triste histoire m’a occupée toute la nuit. J’ai sauvé deux de ses petites filles que les pieds des chevaux allaient broyer. Ces pauvres anges étaient d’une beauté extraordinairea, de ces beautés de rêve. La joie que j’ai éprouvéeb de les avoir sauvées m’a réveillée. Je n’ai pas besoin de te dire que tu étais mêlé à tout cela. Il n’y a pas d’exemple que j’aie fait un rêve sans que tu sois dedans. Depuis bientôt treize ans, c’est toutes les nuitsc la même chose. Au reste, ces rêves ne sont jamais que la reproduction fantastique de tout ce qui m’a occupée dans la journée.
Je t’aime, mon Victor, comme jamais homme n’a été aimé et ne le sera après toi. Je t’aime de tous les amours à la fois, avec les yeux, avec la raison, avec le cœur et l’âme. Tu es mon Victor adoré que je baise et que j’adore. Je voudrais mourir pour [illis.].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 215-216
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « extraordinaires ».
b) « j’ai éprouvé ».
c) « toute les nuits ».


4 décembre [1845], jeudi soir, 5 h.

Je vous défends d’être si gentil que ça devant les petites filles, Monsieur Toto, et de tant baiser les COCOTTES. Je ne veux pas que les petites péronnelles disent, à part elles, ce que les bergersa d’André Chénier disent de la jeune fille qui caresse un enfant devant eux [2]. La première fois que cela vous arrivera encore, je vous grifferai tout bonnement pour vous apprendre à ne faire de coquetteries qu’avec moi.
Duval, le jardinier, est venu. Je lui devais son mois échu le 29 novembre. Je lui ai en outre payé plusieurs triquemaques indispensables, toujours dans l’espoir, et même avec la conviction, que toutes ces choses serviront les années suivantes. Il m’a apporté une lettre de Claire à laquelle j’ai répondub tout de suite parce qu’elle m’en priait. Et puis je t’ai acheté du raisin. Tu en mangeras ce soir à la place de ces vilaines pommes que tu n’aimes pas. Cher adoré, c’est une joie pour moi de te donner quelque chose à brouter qui te rafraîchissec et te fasse plaisir. Je suis on ne peut pas plus vexée quand je ne le peux pas. Si tu voulais permettre, j’essaierais d’aller de temps en temps au mail. Je crois que je trouverais là des poires et du raisin tant que tu en voudrais. Tu verras si tu peux m’accorder cette latitude dans l’intérêt de ta santé. En attendant, je te baise, je t’aime, je t’adore, je te désire et je t’attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 217-218
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « les berger ».
b) « j’ai répondue ».
c) « raffraîchisse ».

Notes

[1Le 3 décembre 1845, Victor Hugo rend visite à M. Villemain, atteint d’une grave maladie mentale.

[2Référence à un poème d’André Chénier (1762-1794) : « J’étais un faible enfant qu’elle était grande et belle ; / Elle me souriait et m’appelait près d’elle. / Debout sur ses genoux, mon innocente main / Parcourait ses cheveux, son visage, son sein, / Et sa main quelquefois, aimable et caressante, / Feignait de châtier mon enfance imprudente. / C’est devant ses amants, auprès d’elle confus, / Que la fière beauté me caressait le plus. / Que de fois (mais, hélas ! que sent-on à cet âge ?) / Les baisers de sa bouche ont pressé mon visage ! / Et les bergers disaient, me voyant triomphant : / « Ô que de biens perdus ! ô trop heureux enfant ! » »

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