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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 novembre [1845], dimanche après-midi, 4 h.

J’avais si bien compté sur ta promesse, mon cher amour, que je me suis hâtée dare-darea de faire faire la chambre, d’allumer du feu et de me préparer pour être auprès de toi dès que tu viendrais. J’en ai été pour mes préparatifs, comme toujours. Je ne t’en veux pas, mon doux adoré, loin de là, et je comprends très bien les empêchements de toutes sortes qui peuvent venir se jeter à travers le charmant projet de venir passer quelques heures dans ma petite chambre auprès de moi. Aujourd’hui tu attendais une foule d’HISTRIONS [1], il me semble, et Dieu sait que c’est une race cancanièreb et poissante s’il en fut et dont il n’est pas facile de se dépêtrer une fois qu’on s’en est laissé approcher. Hier je ne t’ai presque pas vu et le peu de temps que tu as passé auprès de moi, j’ai trouvé moyen d’être la plus grognon, la plus maussade, la plus geigneuse et la plus blaireuse des femmes. Il est vrai que je souffrais atrocement.

10 h.

Je ne veux pas me coucher, mon cher adoré, sans t’avoir demandé pardon encore une fois de mon insigne grognarderie d’hier. Je m’en veux de ne savoir pas mieux souffrir que ça. Une autre fois je te prierai de me battre pour tout de bon, cela me guérira et cela me corrigera tout à la fois. Mes péronnelles viennent de s’en aller et moi je viens de me déshabiller pour être plus à mon aise. Je serai probablement couchée quand tu viendras parce que je me ressens encore de la courbature d’hier. Toi, mon pauvre ange, tu travailles pendant tout ce temps-là sans te plaindre jamais. Ô, tu es vraiment un ange, toi, tu en as la beauté et la bonté. Je le dis à tous les instants de ma vie quand je te compare à moi. Je ne sais pas comment tu daignes m’aimer et cependant je suis bien sûr qu’il n’y a pas au monde une femme capable de t’aimer comme moi. Cher, cher adoré, je voudrais te donner en un seul jour le dévouement et l’amour de toute une vie. Ma prière de tous les jours au bon Dieu est pour lui demander l’occasion de te prouver combien je t’aime. Je ne serai vraiment heureuse que le jour où elle m’arrivera. En attendant, je baise tes pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 173-174
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « dar dar ».
b) « cancannière ».

Notes

[1Hernani sera repris le 2 décembre au théâtre français, puis rejoué les 18 et 21 décembre.

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