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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 octobre [1845], lundi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon petit homme chéri, comment que ça va ce matin ? Comment vont vos puces  ? Je ne sais pas si ce sont les miennes qui m’ont empêchée de dormir cette nuit, mais le fait est que j’ai eu une insomnie qui ne m’a pas laisséea dormir deux heures dans toute la nuit. Tu sais que tous les automnes, je suis sujette à ce genre d’incommodité. C’est fort ennuyeux et très fatigantb surtout quand on pleure comme je l’ai fait jusqu’à 5 h. du matin. Je te raconterai cela, mon Toto, et tu me gronderas si j’en ai besoin, quoique j’aimasse mieux que tu m’embrasses et que tu me rassures à force d’amour sur des chagrins peut-être pas aussi imaginaires qu’on pourrait le penser. Ce matin j’ai une mine à faire peur au diable et je ne me tiens ni sur la tête, ni sur les jambes. Ce temps hideux y est pour quelque chose. Aussi je vais me secouer tout à l’heure pour dissiper toutes ces vapeurs. Comment vas-tu toi, mon doux aimé ? Penses-tu revenir à Paris [1] de bonne heure ? Dîneras-tu à la maison ? Si tu ne viens pas avant le dîner, je ne saurai pas si je dois en faire faire un. Si tu ne viens pas pour dîner, tu ne reviendras que demain......c Qu’est-ce que je deviendrai jusque-là ? Je ne veux pas penser à cette hideuse possibilité d’avance. Il est inutile de prolonger mon insomnie jusque dans la journée. J’aime mieux espérer et croire que tu vas revenir tout à l’heure, ce sera toujours autant de tristesse et de découragement de moins tant que durera mon illusion. En attendant, je t’aime comme les anges aiment Dieu. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 17-18
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « m’a pas laissé ».
b) « fatiguant ».
c) Six points terminent la ligne précédente et commencent la suivante.


6 octobre [1845], lundi après-midi, 3 h. ¾

Quel temps, mon cher petit Toto, il me met la mort dans l’âme. Il est vrai que la crainte de ne pas te voir ce soir suffit, et au-delà, pour me remplir le cœur de tristesse. Il est peu probable que tu viennesa aujourd’hui. Cette presque certitude me donne un découragement et un noir que je ne peux pas vaincre. Je donnerais ma vie pour oui ou non tant je me déplais à moi-même.
Je t’ai fait du houblon ce matin parce que tu me l’avais dit. Maintenant je le regrette puisqu’il ne te servira que demain et qu’il ne sera plus frais. Je t’ai acheté du raisin, toujours dans l’espérance que tu viendrais dîner ce soir, hélas ! Enfin je devrais être habituée puisque c’est presque toujours les mêmes déceptions, mais le cœur se laisse prendre toujours au même piège. À force de te désirer et de t’aimer, j’en deviens imbécileb. Ta pensée est comme un clou planté dans ma pauvre cervelle. Je ne peux pas l’en arracher. Tous les efforts que je fais pour cela n’aboutissent qu’à me donner un mal de tête fou. Dans ce moment-ci, je suis presque folle des douleurs que j’éprouve. Tu peux le voir de reste au décousu et aux répétitions qui existent dans mon gribouillis. Je vois venir avec peur la nuit. S’il faut que je la passe comme la dernière, je crois que j’aimerais mieux ne pas me coucher du tout. Si tu ne dois venir que demain, mon cher adoré, Dieu sait ce que je vais souffrir. En attendant, je le prie de toutes mes forces pour qu’il t’inspire la bonne pensée de revenir tout de suite. Si je te voyais à présent, si seulement, j’étais bien sûre de te voir tout à l’heure, tout mon chagrin et tout mal seraient dissipés. Quoi qu’il arrive, je t’aime mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 19-20
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu vienne ».
b) « imbécille ».

Notes

[1Victor Hugo passe son dimanche à Saint-James où séjourne sa famille depuis le 12 septembre.

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