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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 août [1845], lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher bien-aimé, tu vas toujours bien, n’est-ce pas, et tu m’aimes un peu ? Tu n’es pas venu hier au soir, je m’en doutais presque dès que tu m’as eu demandé tes lettres. Tu as eu beau me dire le contraire, je n’en ai rien cru. Je ne t’en veux pas, je sais que tu ne t’appartiens pas, et le dimanche soir moins encore que les autres jours. Je suis restée seule, Suzanne est montée chez son oncle passer la soirée, ce qui n’ajoutait rien du reste à ma solitude, pas plus qu’elle ne la diminue en restant auprès de moi, comme tu penses bien. À 11 h. j’ai éteint ma lampe et puis j’ai pensé à toi le plus longtemps que j’ai pu ce matin. Je me suis éveillée à 5 h. ½, mais je ne me suis levée qu’une heure après. Voilà, mon Toto, l’emploi de ma nuit depuis que tu m’as quittée jusqu’à ce matin. Je pourrais ajouter deux souris que Fouyou a prises ou promenéesa toute la nuit à travers mon cabinet de toilette, le salon et le reste. Il a fallu laver ce matin les gouttes de sang dont il avait aspergé tout l’appartement. À part le dégoût invincible que ce genre de chasse m’inspire, je suis très contente de ce pauvre chat, car sans lui je serais dévorée par toutes sortes d’animaux immondes. Je voudrais savoir quand je te verrai, mon Victor, pour me donner un peu de cœur au ventre, car je suis bien triste et bien découragée. Je donnerais ma vie pour deux sous et pourtant je ne t’ai jamais plus aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 190-191
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « promener ».


25 août [1845], lundi après-midi, 3 h.

Ce que tu viens de me dire tout à l’heure, mon bien-aimé, met le comble à mon découragement et à ma tristesse. Je ne sais pas ce que je ne préférerais pas à cette absence de huit jours [1]. Je connais ta manière de me prévenir et ce que tu m’annonces comme chose possible est déjà résolue. Du reste puisque M. Louis l’ordonne, il n’y a pas à balancer, mais il faut convenir que ma vie est une suite non interrompue de mystifications et de déceptions de toutes sortes. Comment tout cela finira-t-il et quand cela finira-t-il mon Dieu ? Je sens que j’en ai mille fois plus que je n’en peux supporter. Je crois tout préférable à cette vie sans bonheur, sans air, sans liberté et sans utilité que je mène. Dans ce moment-ci, je souscrirais avec transport au moyen qui m’ôterait violemment de cette position insupportable. Si tu étais sincère, tu dirais la même chose, car il est impossible que tu ne sois pas aussi las que moi de cette vie sans charme, sans joie et sans amour. Ce qui te retient, c’est la pitié pour moi, pitié qui ne m’empêche pas de souffrir, générosité qui ne me fait pas illusion, car je me souviens très bien que du temps où tu m’aimais, tu étais malade aussi quelquefois mais tu savais très bien venir te faire soigner par moi. Tu t’absentais aussi mais tu ne t’éloignais pas de moi. Les faits sont des faits. Les plus douces et les plus généreuses paroles du monde ne font rien contre des faits. Oh ! j’ai le cœur plein d’une affreuse tristesse. Je voudrais me tuer ou me sauver bien loin. Mon Dieu, vous êtes bien cruel de me faire tant souffrir pour une chose qui ne dépend pas de moi.

BnF, Mss, NAF 16360, f. 192-193
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo s’absente plusieurs fois dès le début du mois de septembre. Différentes hypothèses s’offrent pour expliquer ce projet de voyage : soit il pensait aller rejoindre sa famille qui séjourne à Saint-James du 12 septembre (environ) au 21 octobre 1845, ce qu’il fera ponctuellement ; soit il prévoyait de s’absenter pour une autre raison, comme tenter de voir Léonie Biard lors de son changement de couvent début septembre. Si l’on cumule ses déplacements (du 1er au 2 septembre au soir ; du 4 au 5 septembre au soir ; du 8 au 10 septembre ; du 18 au 19 ou 20 septembre et du 22 au 23), il fut absent onze ou douze jours.

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