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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 août 1845

10 août [1845], dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi ? Dors-tu encore ? Penses-tua à moi, ou rêves-tub de moi ? M’aimes-tu ? Pourras-tu venir aujourd’hui sans te faire de mal ou le médecin s’y oppose-t-il par prudence ? Voila ce que je saurais tout de suite si au lieu d’être une vieille bête de Juju j’étais une petite fée Carabosse. Je suis obligée d’attendre que ce soit toi qui viennesc m’apporter la réponse, trop heureuse quand c’est toi et bien heureuse encore quand c’est une chère petite lettre de toi qui vient me consoler et me rassurer. Aujourd’hui j’attends avec impatience toi ou elle [1]. Je voudrais pour tout au monde que ce fût toi à la place d’elle et bien des choses avec pour que ce fût toi et elle. En attendant, je ne sais pas ce qui se passe et j’en suis réduite à prendre mes désirs pour des certitudes et à croire, d’après mon cœur, que tu vas bien, très bien, tout à fait bien... Toi seul saisd ce qui en est, mais cela ne m’avance pas beaucoup dans ce moment-ci.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, m’aimes-tu ? Viendras-tu ? Il ne faut pas venir si cela te fatigue. Je ne sais pas comment j’ai le courage de t’écrire ces neuf vilains mots. Il faut que je mette le pied sur la gorge de mon égoïsme pour cela et que je n’écoute que mon amour pour te faire cette prière qui doit me désespérer toute la journée, s’il est besoin que tu l’écoutese, car cela me prouvera que le mieux n’a pas persisté. Enfin, cher adoré bien-aimé, je te supplie bien sincèrement de ne faire que ce que le médecin permettra. Je ne veux pas d’un bonheur qui te coûterait un jour de souffrance de plus. Avant tout, ta chère santé. Sois donc prudent, très prudent et écris-moi le plus tôt que tu pourras et sur du très grand papier. Pense que je n’aurai que cela pour faire mon dimanche.
En attendant, je te baise, je t’adore, je te souris, je te porte, j’ai soif et j’ai crié quand il m’a morduef [2].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 128-129
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « pense-tu ».
b) « rêve-tu ».
c) « toi qui vienne ».
d) « sait ».
e) « tu l’écoute ».
f) « il m’a mordu ».


10 août [1845], dimanche soir

Merci, adoré, merci, bien-aimé, merci, tu m’as donné un bon petit dimanche. Je m’abonnerais à ce que tous les jours soient des dimanches comme celui-ci. C’est si doux d’être avec toi, rien qu’avec toi, seulea avec toi. Aujourd’hui, à part l’apparition de Mme Guérard, j’ai pu jouir de ce bonheur ineffable. Il y avait bien longtemps que cela ne m’était arrivé. Cher adoré, tu es parti sans m’assurer que tu viendrais demain. Ce vague me donne une petite teinte de tristesse parce que je crains que tu ne te sois senti souffrant ce soir sans vouloir me le dire. Le temps est atrocement contraire à ta chère santé. Pauvre petit ver à soie, tu dois souffrir affreusement par cet hiver permanent. Si je t’avais toujours avec moi, j’aurais tâché de te faire un été factice. Je t’aurais enveloppé des choses les plus moelleusesb et les plus chaudes. J’aurais mis tes petits pieds dans ma belle couverture. Mais tu t’en vasc juste quand je commenced à improviser pour toi une température d’orangers. Je voudrais que tu prennes des précautions ce soir pour étouffer ce rhume que tu es en train d’AVOIR. Il est inutile, tu n’as pas besoin d’ajouter ce petit supplémente à ton mal. Je voudrais aussi que tu te couches de bonne heure. Si j’étais votre garde-malade, je saurais bien éloigner tous les bavards et toutes les bavardes de vous. Vous verriez cela un peu. Taisez-vous. Mangez et couchez-vous et aimez-moi. Cher adoré, je ne veux pas que tu sois triste, je ne le veux pas. Je veux que tu sois geaif, que tu te portes bien et que tu m’aimes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 130-131
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « seul ».
b) « les plus moelleuse ».
c) « tu t’en va ».
d) « je comme ».
e) « suplément ».
f) « geaie ».

Notes

[1Victor Hugo écrit à Juliette Drouet ce dimanche 10 août 1845 : « Dimanche, 1 h. ½ / Mon doux ange, je continue d’aller mieux, mais c’est long, la crise aiguë est évitée, mais à la condition d’un repos dont le terme n’est pas immédiat. Cependant, je sortirai demain, comptes-y, cela est expressément entendu et accordé. J’ai besoin de repos, mais j’ai besoin de bonheur, et ne pas te voir, mon ange, c’est impossible. / N’aie du reste aucune inquiétude sur cette sortie. Je prendrai les plus grandes précautions, et je n’ai pas quitté le lit depuis vendredi soir, afin de pouvoir te voir demain. Il y a tant de prudence autour de moi, que, du moment où cette sortie est permise, elle ne doit pas t’alarmer. / Sois donc joyeuse de me voir comme moi de t’embrasser, sans le moindre nuage, sans la moindre crainte, ma douce et pauvre bien-aimée. J’ai le cœur gonflé quand je songe à toi, n’aie aucun souci, avec de la prudence, (et j’en ai tu vois) il n’y a pas de danger. Oh ! que je voudrais te voir en ce moment, mon ange adoré, et baiser tes belles lèvres parfumées ! Que j’ai besoin d’amour ! Que j’ai besoin de toi. / À demain. À toujours, mon trésor chéri. / Je vais mieux, aie cela bien présent à l’esprit, je vais très bien. Et puis embrasse Clairette pour moi. Je l’envie d’être avec toi ! » (édition de Jean Gaudon, p. 143).

[2S’agit-il d’une citation ? À élucider.

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