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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 août 1845

8 août [1845 [1]], vendredi matin 7 h. ½

Bonjour aimé, bonjour adoré, bonjour vous, bonjour toi, comment vas-tu ce matin ? Il faut que tu ailles bien ou je me fâcherai tout rouge et j’irai vous soigner moi-même de force chez vous. Comment as-tu passé la nuit, mon bien-aimé ? Vas-tu bien ?
Sérieusement bien à fond  ? Je pourrai m’en assurer tantôt par mes yeux, par ma bouche, par mon cœur et par mon âme. Mais, d’ici là, je voudrais bien savoir un peu comment tu as passé la nuit et comment tu te trouves ce matin. C’est aujourd’hui, mon Victor adoré, c’est tantôt que je te verrai, que je te baiserai, que je te caresserai, que je te porterai dans mes bras. Ô que je vais être heureuse ! Comme je vais me dédommager de tout ce que j’ai souffert pendant ces affreux jours d’absence, de tristesse et d’inquiétude ? Je voudrais déjà y être. Pourvu que toute ma joie future ne s’en aille pas en une seconde comme la dernière fois ? Je ne veux pas me porter malheur en y pensant d’avance. Je veux avoir confiance en Dieu et en toi et croire que tout ce que je désire et que j’espère me sera accordé.
Jour Toto, jour mon cher petit o, bonjour amour bien aimé. Je vais te voir ! Je vais être heureuse ! Que je voudrais être à ce moment là. Tâche de venir de bonne heure, mon Victor chéri. Tu sais que tu m’as promis de passer plusieurs heures avec moi. Je compte sur ta bonne promesse comme si le bon Dieu me l’avait faite et je t’attends avec confiance et sécurité en t’aimant de toutes mes forces.

Juliette

Médiathèque La Clairière, Fougères
Ms 108
Transcription de Florence Naugrette


8 août [1845], vendredi matin, 11 h. ¾

Je venais de t’écrire pour la seconde fois, mon adoré, lorsque Lanvin est arrivé. Il va chez toi de la part de M. Pradier et si tu es seul, il te remettra ce petit mot. Que ne puis-je me cacher dans sa hideuse poche, j’y entrerais sans dégoût, même avec son mouchoir à tabac. Pour te voir, je suis capable de tout. Je suis capable de ne pas te prier de venira malgré le danger qu’il y a à sortir par cet affreux temps.
Mon aimé, mon adoré, je ne sais pas ce que je deviendrai si je ne te vois pas tantôt, mais je prends mon courage à deux mains et je [te] supplie de toutes mes forces de ne pas venir pour peu qu’il y ait le plus petit danger. Je te le dis du fond du cœur avec les yeux pleins de larmes, mais je te promets d’avoir du courage en pensant que je t’ai épargné une rechute. En attendant, je t’envoie ma pensée, mon âme, ma vie, mon cœur, mes baisers, mes larmes, mes angoisses et mes espérances. Je t’adore. Je t’aime plus que la vie, plus que jamais homme n’a été et ne sera aimé avant et après toib.

BnF, Mss, NAF 16360, f. 118-119
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « de ne pas de venir ».
b) La lettre s’arrête ici. La quatrième page est restée vierge.


8 août [1845], vendredi soir, 5 h. ½

Te voilà parti déjà [2], mon adoré, et tu emportes avec toi ma joie, mon bonheur, ma vie, mon âme tout entière. Je reste seule avec ton souvenir et mon amour, tâchant de reprendre, dans les choses que tu as touchées, qui t’ont servies, que tu as regardées, un atome de ce bonheura qui m’emplissait le cœur tout à l’heure. J’ai bu tout ce que tu avais laissé dans ton verre. Je rongerai ton petit bout d’aile de poulet, je me servirai de ton couteau, je mangerai dans ta cuillère, j’ai baisé la place ou ta belle tête avait reposé, j’ai mis ta canne dans ma chambre. Je m’entoure, je m’imprègne de tout ce qui t’a approché. C’est avec ces folies que je trouve la raison d’attendre que tu te guérissesb sans tomber dans le plus profond découragement. Cher adoré, tu m’as promis de venir demain, si tu pouvais. Je te supplie, et cela bien du fond de mon cœur et de toute la force de mon amour, de ne pas venir si M. Louis ne l’a pas ordonné. Vois-tu, mon adoré, je ne suis pas sans inquiétude sur ce point douloureux que tu sens dans ton pauvre petit ventrec. La diète presque absolued que M. Louis t’impose prouve qu’il n’est pas non plus très tranquille. Il ne faut donc pas sortir demain si tu as ressenti ce soir la moindre fatigue ou même si tu ne vas pas encore beaucoup mieux. Il y a bien de l’amour dans la prière que je te fais là, mon Victor. Si je n’écoutais que la violence de mes désirs, je te supplierais au contraire de revenir ce soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 120-121
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) Paul Souchon lit : « [...] un atome du bonheur [...] ».
b) « tu te guérisse ».
c) Paul Souchon lit : « [...] dans ton petit ventre. ».
d) « presqu’absolue ».


8 août [1845], vendredi soir, 8 h. ¾

Comment te trouves-tu ce soir, mon cher adoré bien aimé ? Cette course en voiture ne t’a pas trop fatigué ? En y pensant depuis, j’ai trouvé qu’il était bien peu raisonnable à toi de faire de si longue course en voiture. Il me semble que le mouvement de la voiture est pour le moins aussi mauvais que la marche, si même il ne l’est pas davantage. Il aurait été plus prudent de borner ta sortie à la visite que tu m’as faite. Je sais bien que cela ne devait pas être facile, mais dans ce cas-là peut-être aurait-il mieux valua ajourner encore le bonheur de nous voir. Ô mon aimé, c’est plus que de l’amour ce que j’ose te dire là et je crois que je ne trouve le courage de te le dire que parce que je t’ai vu aujourd’hui. Depuis que tu m’as quittée, je ne suis pas tranquille. Tout ce que la joie et le ravissement de te voir m’ont empêchée de remarquer m’apparaît maintenant. Il me semble que tu es encore très souffrant, que tu es abattu. Enfin je ne suis pas tranquille. Mon Victor, au nom de tout ce que tu as de plus cher, au nom de mon amour et de ma vie, ne sors pas demain si M. Louis y voit le plus léger inconvénient. Je peux, en y mettant toute ma force et tout mon courage, supporter ton absence si tu n’es pas sérieusement malade, mais je sens qu’il me serait impossible de la supporter si je te savais gravement indisposéb. Ne t’inquiète pas de ce que je deviendrai demain. Je [relicherai  ?] les bords de mon écuelle et je me ferai du bon [singe ?] [illis.] de toutes les douces paroles que tu as laissé tomber chez moi, de tous les doux baisers que je t’ai pris, de tous les ravissants sourires que tu m’as donnés. Je ferai de tout cela un mélange qui ne sera pas sans charme et puis tu m’enverras ma chère petite pièce de résistance, ma bonne petite lettre sur du grand papier. Et puis tu te reposeras bien pour être tout à fait un grand garçon dimanche. Pour commencer, il faut te coucher tout de suite, me baiser et dormir, penser à moi et rêver de moi. Bonsoir, Toto, bonsoir, ma vie, dors bien. Je vais prier le bon Dieu pour qu’il te guérisse bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 122-123
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « vallu ».
b) « indisposer ».

Notes

[1Une main différente a ajouté au crayon la date « 1851 » sur le manuscrit. Mais les circonstances (maladie de Hugo qui l’a empêché de voir Juliette depuis plusieurs jours) et la lettre de la BnF datée 8 août 1845 et heurée de la fin de la matinée, où Juliette mentionne une lettre écrite plus tôt le même jour et manquant au corpus de la BnF plaident plutôt pour dater cette lettre de 1845. D’autre part, dans les jours qui précèdent le 8 août 1851, Juliette n’a pas été privée de la visite de Victor plusieurs jours d’affilée.

[2Victor Hugo écrit à Juliette Drouet ce vendredi 8 août 1845 : « Vendredi 10 ½ du m. / Je suis bien, quoiqu’encore très souffrant, mais je te verrai pour sûr ce soir, mon ange bien-aimé. Hélas ! jamais depuis que nous nous aimions, nous n’avions été si longtemps sans nous voir, voilà plus de deux jours ! Oh ! comme j’ai compté les heures. / Et toi, chère bien-aimée, qu’as-tu fait ? M’as-tu bien désiré ? M’as-tu bien aimé ? As-tu langui comme moi de ne pas voir ce qui est nécessaire à ta vie, ce visage aimé ? Pauvre amour, je sais tout ce qu’il y a dans ton cœur si charmant et si doux, tu n’as été que trop triste et trop accablée, je le sens bien, ma propre tristesse et mon propre accablement m’en avertit, il y a entre nous une communication mystérieuse qui persiste toujours et que rien n’interrompt, pas même la distance matérielle. Nous avons la douleur de l’absence, et cependant, quand on s’aime comme nous nous aimons, il n’y a jamais d’absence. Même séparés, nous sommes ensemble. / Écoute, mon pauvre ange adoré, dis à Suzanne de se tenir ce soir à partir de sept heures près de la porte cochère sur la rue St Anastase pour qu’elle puisse aller t’avertir au cas où il y aurait inconvénient à ce que je descendisse de voiture. Tu viendrais me trouver. Ô ma bien-aimée, quelle joie de te revoir, ne fût-ce qu’un instant. / À ce soir, aime-moi, moi je t’adore et je ne vis que par ta pensée. / Voici Mme Lanvin. Je la charge de cette lettre. Elle te la portera. Que ne peut-elle te porter en même temps toute mon âme et tous mes baisers ! À ce soir, mon doux ange. » (édition de Jean Gaudon, p. 140).

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