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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 août 1845

7 août [1845], jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon bien-aimé, comment as-tu passé la nuit ? Comment te sens-tu ce matin ? Cette vilaine douleur a-t-elle enfin tout à fait disparua ? Seras-tu tout à fait guéri demain ? J’ai besoin de l’espérer pour ne pas être méchante aujourd’hui. Tu m’as promis, mon Victor bien aimé, de passer plusieurs heures avec moi demain. Je compte sur ta promesse. Ce serait bien mal à toi si tu ne la tenais pas. J’attends ta chère petite lettre tantôt [1]. Tâche de me l’envoyer le plus tôt possible. C’est en elle seule que j’espère pour me donner du courage et de la patience jusqu’à demain.
Il faut que j’écrive absolument à M.  Alboize aujourd’hui. C’est une corvée que j’abomine et dont je voudrais déjà être délivrée. Il me semble qu’il aurait été plus simple qu’il t’écrivît à toi-même directement. De cette façon je n’aurais pas eu l’ennui de lui répondre. Autant j’ai du plaisir à te griffouiller tout ce qui me passe par le cœur et par la tête, autant j’ai horreur de ce qui a forme de lettre pour n’importe quoi et à n’importe qui. Ce n’est pas de ma faute mais c’est ainsi. Enfin il faudra bien que je me décide tout à l’heure à avaler cette pilule. Heureusement que je suis à jeun.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, vous ne me dites pas si l’autre petit Toto a été heureux en Histoire. Vous savez pourtant bien qu’après vous, c’est ce qui m’intéresse le plus au monde. Ce pauvre cher enfant, s’il n’a pas réussi, ce ne sera pas faute de l’avoir désiré et de l’avoir demandé au bon Dieu. Du reste, et à part le petit triomphe officiel, il a fait un fameux tour de force et d’application pour en être arrivé au point où il est, après deux ans d’interruption [2]. Baise-le pour moi et dis-leur que je lui donne tous les premiers prix et dis-toi que je t’adore parce que tu es mon cher amour ravissant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 116-117
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « disparue »

Notes

[1Victor Hugo écrit à Juliette Drouet ce jeudi 7 août 1845 : « Jeudi 11 h. ½ du m. / Je t’écris par la poste aujourd’hui, chère bien-aimée, parce qu’il y aurait inconvénient à envoyer tous les jours. J’ai passé une très bonne nuit, et je vais me lever tout à l’heure pour m’étendre sur ma chaise-longue. La douleur continue de diminuer. / Ce qui continue d’augmenter, mon ange, c’est mon besoin de te voir, c’est l’insupportable ennui d’être privé de toi, c’est l’inexprimable tendresse que je me sens pour toi au fond de l’âme. N’est-il pas vrai que ce sont de longues et tristes journées ? Le sens-tu comme moi, mon ange chéri ? Oh oui, car tu m’aimes, car tu vis en moi, car lorsque je t’approche je sens, à je ne sais quelle enivrante et angélique chaleur qui émane de toi, que j’approche l’amour même ! / Je ferai bien des efforts pour t’aller voir aujourd’hui, ne fût-ce qu’un moment dans la soirée, pourtant je n’en réponds pas, mais demain pour sûr, et je tâcherai de rester deux ou trois heures. Oh ! quelle douceur de se revoir ! Écris-moi de longues lettres. Ces chères lettres, comme j’ai soif [de] les tenir, de les lire, et de les baiser. Aime-moi ! » (édition de Jean Gaudon, p. 138). Il lui écrit une nouvelle lettre à 3 h. ½ : « Je continue d’aller mieux, mon ange béni, cependant il faut encore garder le lit aujourd’hui. J’espère toujours pouvoir t’aller voir un instant demain. J’ai eu un peu de fièvre qui est tombée, maintenant je vais bien, vraiment bien. / N’aie aucune inquiétude, je ne veux pas qu’il y ait dans tes beaux yeux d’autre nuage que l’ennui si douloureux de ne pas nous voir. Hélas ! que ces douces habitudes deviennent de cruelles choses quand il faut y renoncer, ne fût-ce que pour deux jours ! Et comme ces deux jours-là sont deux siècles ! / J’avais repris avec tant de bonheur ma charmante habitude de passer des demi-journées entières près de toi. Vois-tu, ma bien-aimée, triste ou gai, préoccupé ou libre d’esprit, j’ai besoin de toi, ta présence est une douce chaleur qui se mêle à tout ce que j’éprouve, dans la joie, elle me rend plus heureux ; dans la tristesse, elle me rend moins sombre ; dans le travail, elle me soulage et m’encourage. Je garde quelquefois le silence près de toi pendant des heures, mais ce n’est que ma bouche qui se tait, mon cœur parle ; mon cœur te dit tout bas mille adorations. C’est que je sens bien profondément tout ce que tu es et tout ce que tu vaux. Hélas ! que ne t’ai-je en ce moment près de moi pour me guérir avec tes doux soins, pour me ravir avec ton beau sourire ! Il y a quelque chose en toi de si angélique et de si divin ! / Ne t’afflige pas. Cette irritation est toute locale et fort circonscrite, et sera de fort peu de durée. M. Louis n’y voit aucune gravité. Il recommande un peu de repos et de diète. Voilà tout. Demain, mon doux ange, je te verrai, je baiserai ton beau front, je baiserai tes mains bien-aimées. Je puiserai de ton âme dans tes yeux pour emporter de la joie et du bonheur. Si tu pouvais voir comme je t’aime, tu serais heureuse ! / Je t’envoie des journaux, des épluchures comme tu dis dans ton charmant langage, mais je fais ce que je puis. Aime-moi, pense à moi, songe que tu es ma vie ! » (édition de Jean Gaudon, p. 139).

[2François-Victor a passé le Concours Général où il a échoué. À cause d’une grave maladie pulmonaire, François-Victor dut interrompre ses études et fut convalescent durant toute l’année 1842.

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