Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1845 > Mai > 24

24 mai 1845

24 mai [1845], samedi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon Victor aimé, bien-aimé, bien-aimé, bonjour. J’ai de plus en plus mal au pied mais si tu veux venir me chercher ce soir pour refaire le même chemin, ou tout autre à ton choix, je suis toute prête et je serai très contente, très heureuse et très gaillarde en dépit de mon bobo. La matinée avait été très belle, mais voilà le temps qui se brouille encore et ma grande fillette recevra tout sur son infortunée carcasse. Heureusement qu’elle a son beau parapluie, ce qui lui donne l’occasion d’en déployer toute la splendeur aux yeux des Parisiens éblouis. Peut-être l’aurai-je lundi si Mme Marre n’a pas changé d’avis. C’est bien dommage que l’heure de l’Hôtel de Ville coïncide avec celle de la Chambre des pairs, car je t’aurais prié de nous y faire entrer. Je suis impatiente de vous voir dans votre bel habit. Cher bien-aimé adoré, je suis toujours impatiente de te voir n’importe où et n’importe comment. Pourvu que je te voie, je suis contente, je suis heureuse, je suis en extase et ravie. Rien ne peut augmenter la majesté de ton beau front, rien ne peut embellir ton doux sourire, rien ne peut ajouter au charme irrésistible de toute ta personne. Mais je te vois si peu, au gré de mes désirs et de mon cœur, que j’aspire après toutes les occasions qui peuvent me donner cette joie.
Aussi je suis très contente aujourd’hui parce que j’ai l’espoir de t’avoir à souper ce soir. Ce sera un moment de bonheur dont je jouis déjà par avance. En attendant, tâche de venir tout à l’heure, mon Toto chéri ; je vais faire tout de suite ton eau pour tes yeux. Et puis je t’aime, et je te baise de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 215-216
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


24 mai [1845], samedi soir, 6 h.

Je suis heureuse, mon Victor, et toutes les invectives du monde ne m’empêcheront pas d’être la plus heureuse Juju de France et de Navarre. Appelez-moi gueularde, gouliaffe, gourmande, comme vous voudrez, je n’en perdrai ni un coup de dent à dîner, ni une goutte de votre présence ce soir. Vous pouvez être très tranquille à ce sujet. Je suis trop contente pour m’arrêter aux duretés qui vous échappent d’abondance.
J’attends ma péronnelle qui sera fort vexée si son père ne lui a pas donné ce qu’elle veut. Elle aura un vrai nez de carton. J’en serai fâchée pour elle parce que je sens qu’à sa place, cela me ferait le même effet. Je la consolerai de mon mieux en lui faisant voir le NÉANT DES CHOSES DE CE MONDE.
À propos de NÉANT, vous savez que je suis à votre disposition quand et comme il vous plaira, mon pair de France. Je suis curieuse de savoir avec quelle nouvelle grâce vous vous tirerez de ce pas si dangereux que vous n’avez pas pu franchir depuis trois mois. À défaut de la chose, votre gymnastique ne manque pas d’intérêt. Ce soir, pas plus tard, je me donnerai ce petit plaisir. En attendant, je ris d’un rire satanique et je me fiche de vous. Ça vous apprendra à vouloir être autant pair de France au physiquea comme au moral. Je serai sans pitié, je vous en préviens, je suis féroce avec volupté.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 217-218
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « phisique ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne