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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 juillet 1845

31 juillet [1845], jeudi matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon petit Toto bien aimé, bonjour, mon cher petit malade adoré, bonjour, comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi cette nuit ? Tes cataplasmes ont-ils diminué la douleur de ton cher petit ventre ? Quand doit venir le médecin ? J’espère que tu dors encore et que tu n’as pas du tout souffert cette nuit, mais cet espoir mérite confirmation par une bonne petite lettre de toi. Je l’attends avec une impatience que tu ne peux pas te figurer parce que, grâce à Dieu, tu n’as jamais été dans la position d’attendre des nouvelles de ceux que tu aimais et que tu savais malades. C’est un supplice atroce et dont rien ne peut donner l’idée quand on ne l’a pas éprouvé. Déjà quand je t’ai vu partir tout souffrant, au milieu de la nuit, dans cette voiture, tout seul, est inexprimable. Je suis rentrée chez moi la mort dans le cœur et j’ai tant pleuré que je peux à peine ouvrir les yeux encore ce matin. Heureusement que ton adorable petite lettre est venue me tranquilliser un peu [1]. Cela ne m’a pas empêchée de me réveiller d’heure en heure, absolument comme si la pendule m’avait tirée par la manche. Vois-tu, mon Victor adoré, quelle que soita ma confiance en toi, je ne serai vraiment parfaitement tranquille que lorsque je t’aurai vu et que [je] me serai assurée par mes yeux que tu vas bien et qu’il n’y a plus rien à craindre. D’ici là, je ne pourrai pas m’empêcherb de me tourmenter malgré tes adorables petites lettres sans lesquelles pourtant il me serait impossible d’attendre jusqu’à demain sans devenir folle.
Cher adoré, bien-aimé, mon pauvre petit souffrant, ma vie, ma joie, mon âme, mon bonheur, mon tout, mon bien tout, soigne-toi bien pour que je puisse t’embrasser demain de toutes mes forces. Ne fais pas d’imprudence et tâche de m’écrire le plus tôt possible. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 95-96
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « quelque soit ».
b) « m’empêchée ».


31 juillet [1845], jeudi après-midi, 3 h. ¼

Mon aimé, mon pauvre aimé, hier à cette heure-ci j’avais déjà reçu ta lettre [2] depuis longtemps. Est-ce que tu serais plus malade, mon Dieu ? Oh ! je ne veux pas penser à cette possibilité, car je sens que je ne résisterais pas une seconde de plus à mon inquiétude et à mon impatience. J’aime mieux croire que tu n’as eu personne auprès de toi depuis ce matin à qui confier ta lettre, soit pour me l’apporter, soit pour la mettre à la poste, mais que je vais la recevoir tout à l’heure et qu’elle m’apportera de bonnes et heureuses nouvelles. N’est-ce pas que c’est là la vraie cause du retard dont je souffre, mon adoré ? N’est-ce pas, tu vas mieux ? N’est-ce pas, je te verrai demain ? N’est-ce pas, mon Dieu, que vous êtes bon et que vous ne voudrez pas prolonger mon supplice plus longtemps ? Depuis bientôt une heure, je suis comme une pauvre âme damnée. Je ne sais pas pourquoi je m’étais figuré que le terme extrême de mon anxiété ne devait pas aller au-delà de 2 h. ½, heure à laquelle ton adorable lettre d’hier m’est arrivée. Aussi, depuis que ces 2 h. ½ sont passées, ce que je souffre est affreux. Mon cœur me fait si mal que je n’ose pas respirer dans la crainte de le faire éclater. Mes joues sont en feu et je n’y vois pas tant la tête me fait mal. Et s’il faut que cette angoisse se prolonge encore longtemps, je ne sais pas ce que je ferai. Avec cela, il fait un temps hideux qui peut influer sur ton mal et le faire revenir plus fort. Vraiment je sens que je deviendrai folle si ton indisposition devenait plus sérieuse. Mais mon Dieu que ta lettre tarde. Oh ! quel supplice, quel supplice. Mon pauvre adoré, Dieu te garde de pareilles souffrances.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 97-98
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


31 juillet [1845], jeudi après-midi, 3 h. ½

La voilà, la voilà cette lettre tant désirée, tant et si douloureusement attendue, la voilà donc enfin arrivée [3] ! ... Oh ! merci, mon adoré ! Merci, tu me sauves de la plus affreuse douleur que j’ai jamais sentiea dans ma vie. Merci du fond de l’âme et des entrailles.
Je venais de t’écrire, j’étais encore à ma table quand ton domestique est arrivé avec ton rouleau à la main, et, sans sonner à la porte, il s’est approché de la fenêtre en demandant mon nom puis il m’a remis ton rouleau sans même me regarder. Je te donne ce détail tout de suite pour que plus tard tu ne regrettes pas de me l’avoir envoyé, lui, qui m’apportait plus que la vie. Tu me dis que tu vas mieux et pourtant tu as eu de la fièvre et tu es toujours à la diète. Je viens de relire ta lettre pour tâcher de voir si tu ne me trompe pas par excès de bonté. J’ai fait entrer mon âme tout entière dans chacun de tes mots pour voir s’il n’y avait pas dans aucun d’eux quelque souffrance cachée plus grave et plus sérieuse que celle que tu me dis. Je dois avouer que je n’y ai rien vu que du bon et sublime amour comme toi seul peut le sentir et l’exprimer et la douce assurance de te voir demain. Aussi je me rassure, je te souris. Ma main tremble bien encore comme tout à l’heure, mais c’est de joie. Je ne souffre plus, j’espère. Je sais bien qu’il y a encore vingt-quatre heures à attendre, mais cela ne m’effraie pas comparé à l’éternelle heure de deux heures et demieb à trois heures et demieb de tout à l’heure. Ce n’était pas une heure, ce n’était pas un jour, pas un an, pas un siècle, c’était une affreuse éternité dont je ne pouvais plus mesurer le terme. Aussi le bon Dieu a eu pitié de moi, car je crois que ma pauvre raison y aurait succombéc. Merci, mon doux adoré, merci, mon cher petit convalescent, merci, ma vie, mon âme. À demain, le plus tôt que tu pourras. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 99-100
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « que j’aie jamais senti ».
b) « et demi ».
c) « succombée ».


31 juillet [1845], jeudi soir, 8 h. ¾

Il faut que je te dise encore combien tu es mon pauvre amour plainta, adoré, désiré et attendu. J’étais folle d’inquiétude tantôt. Je t’ai déjà dit cela sous toutes les formes mais je te le répète à présent pour te dire que je suis plus tranquille et que j’attends demain avec courage. Cher adoré, je vais donc te voir ! Il y a encore bien des minutes d’ici à demain et chaque minute pour moi représente plus d’un jour. Mais c’est égal. La certitude que tu vas bien et que je te verrai demain me fait envisager sans effroi cet éternel demain. Ne vab pas faire d’imprudence, ne vab pas retarder par ta faute le moment si cruellement attendu où je dois te voir, je t’en supplie à genoux, mon Victor adoré. Songe que j’ai employé dans ces deux mortels jours tout ce que j’avais de courage, de patience, de résignation et de raison. Il ne m’en reste plus juste que ce qu’il m’en faut pour attendre demain et encore, encore... Aussi je te recommande de bien prendre soin de toi, de ne pas te fatiguer ce soir, soit à travailler, soit à recevoir des visites. Je te le demande à mains jointes, mon Toto chéri. Fais de ta santé, c’est-à-dire de mon bonheur, un cas de conscience plus grand que pour ce qui pourrait compromettre ton honneur.
Il faut pourtant que je te rende compte de mes petites affaires. J’avais la tête tellement perdue depuis deux jours, que je ne t’en ai pas parlé. D’abord j’ai pris 10 francs dans ton sac, parce que j’ai payé le mois du jardinier hier. Ensuite j’ai reçu une lettre sale chiffonnée adresséec au no 16, précédé du mot RU, écrit avec cette orthographe. Je ne sais pas de qui cela peut être. Je t’attends pour l’ouvrir, quoiqu’il y ait dessus très pressé. Ensuite, encore, Eulalie n’est venue que ce matin. Ah ! j’oubliais que la mère Ledon est venue hier au soir. Et puis enfin il n’y a plus rien si ce n’est que je t’aime plus que jamais et que je donnerais un grand morceau de ma vie pour être à demain. Bonsoir, adoré, dors bien, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 101-102
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « plains ».
b) « vas ».
c) « adressé ».

Notes

[1Cette lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet, à notre connaissance, n’a pas été conservée.

[2Cette lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet, à notre connaissance, n’a pas été conservée.

[3Cette lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet, à notre connaissance, n’a pas été conservée.

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