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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juillet [1845], mercredi matin, 8 h. ¾

Bonjour, bien-aimé, bonjour, ma vie, comment te trouves-tu ce matin ? Pourvu que cette imprudence préméditée n’ait pas de fâcheux résultat. Pourvu que ce jeune médecin t’ait ordonné un bon remède. Je trouve que tu as été bien confiant et bien imprudent, fasse le bon Dieu que tu ne t’en aperçoivesa pas déjà car je ne sais pas ce que je deviendrai dans le cas où ton indisposition s’aggraveraitb. Je t’ai promis d’avoir du courage, mon Victor adoré, mais le moyen que je tienne ma promesse, c’est que tu sois guéri d’ici à ce soir. Mon Victor aimé, ma vie, mon âme, tout ce que j’ai de plus cher et de plus sacré, ne fais pas de nouvelles imprudences, je t’en conjure au nom de ma raison et de ma vie. Comment tu sens-tu ce matin ? Est-on déjà monté chez toi ? Pourvu que tu aies pensé de dire à ta portière de prévenir Étienne qu’il ait à monterc auprès de toi ? S’il faut que tu descendes encore, cela peut te faire beaucoup de mal. Mon Dieu, quel supplice de sentir en soi tant de dévouement, d’amour et d’adoration et de ne pouvoir pas en faire usage. Je ne sais pas ce que le bon Dieu me garde dans l’autre monde – mais je sais que dans celui-ci je suis éprouvée continuellement dans ce que j’ai de plus sensible. Pauvre ami, la voiture et le froid de la nuit, tes cinq étages à monter, tout cela a pu te faire beaucoup de mal. Comment es-tu ce matin ? À quelle heure doit venir ce médecin ? J’avais presque envied d’envoyer chez M. Louis, venant de ta part, un commissionnaire pour lui dire d’aller te voir tout de suite. Je me suis retenue dans la crainte de te déplaire et surtout dans l’espoir que le bon Dieu aura eu pitié de toi et de moi et qu’il aura changé en remèdes salutaires toutes les imprudences que nous avons commises hier. En attendant, je suis dans une inquiétude que je ne peux pas calmer. Je me dis tout ce qui peut me rassurer. Mais cela ne me rassure pas, au contraire. Toutes les raisons que je me donne ne résistent pase à la seule possibilité que tu peux être plus souffrant qu’hier. Mon Dieu, mon Dieu que c’est long un jour quand on attend une nouvelle qui doit vous rendre la tranquillité ou vous mettre au désespoir. J’en fais la douloureuse expérience depuis que tu m’as quittée. Je donnerais une année de ma vie pour être à ce soir et savoir que tu es guéri. Oh ! je donnerais bien plus que ça, mon Dieu. Ce n’est pas de vivre longtemps que je désire, c’est de te savoir heureux et bien portant tout le temps que j’ai à vivre. Voilà ce que je désire et ce que je demande tous les jours au bon Dieu dans mes prières. Pauvre aimé, comment vas-tu ? Qui est-ce qui est auprès de toi dans ce moment-ci ? Quand recevrai-je de tes chères nouvelles si impatiemment attendues et si ardemment désirées ? Mon Victor adoré, je t’aime, je te bénis, je t’adore. Je voudrais pouvoir donner ma vie pour t’empêcher de souffrir un jour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 89-90
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu t’en aperçoive ».
b) « s’agraverait ».
c) « à monté ».
d) « presqu’envie ».
e) « ne résiste pas ».


30 juillet [1845], mercredi après-midi, 3 h.

Mon aimé, mon doux aimé, mon enfant, ô oui, mon enfant, car il me semble souvent que je t’ai fait de mon sang et de mon âme, j’ai de tes chères nouvelles ! Je peux respirer ! Je ne te verrai pas mais je sais que tu vas mieux et que notre coup de tête d’hier était une chose raisonnable et qu’il n’y a aucun danger à l’avoir fait. Je ne te verrai pas pendant deux jours, c’est-à-dire deux siècles, mais j’ai l’espoir que tu seras guéri au bout de ces deux mortelles journées. Merci, mon Dieu, vous êtes bon, vous avez eu pitié de moi, merci à genoux. J’ai confiance en toi, j’espère que tu me dis bien toute la vérité et que tu vas vraiment très bien. Ô mon aimé, mon Victor adoré, il ne faudrait pas me tromper par une pitié mal entendue, car je n’aurais plus de confiance jamais en ce que tu dirais pour me rassurer. Tu es descendu dans ta chambre, tant mieux, car je ne pouvais pas supporter l’idée de te savoir si loin de tout secours. Je suis plus tranquille, je dirai même que je suis heureuse de te savoir entouré de soin, de tendresse et de sollicitude. Je t’aime trop pour être jalouse. Je sens que je baiserais les pieds de tous ceux qui contribueront à ta prompte guérison.
Ta lettre [1], je l’ai là, sous la main. Je la caresse, je la baise, je la dévore des yeux et du cœur. Il n’y a que toi, mon sublime bien-aimé, pour trouver la force d’écrire des choses aussi douces, aussi tendres et aussi ravissantes malgré la souffrance. Là où les autres hommes seraient moroses et indifférents, tu es charmant et ineffablement bon et tendre. Je le sens jusque dans le fond de mon âme, mais il me faudrait ta ravissante petite bouche pour l’exprimer. Pour moi, je ne sais que te dire, tout bonnement que je t’aime plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 91-92
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


30 juillet [1845], mercredi soir, 7 h.

Tu me dis de t’écrire, mon doux bien-aimé, c’est une recommandation dont je n’ai pas besoin, je t’assure, car si je n’écoutais que mon penchant, si je ne pensais pas à tes beaux yeux, si je ne savais pas combien ton temps est pris par des choses sérieuses, je te gribouillerais depuis le matin jusqu’au soir. Il me faut bien raisonner pour ne pas t’accabler de mes élucubrations toute la journée. Mais, ce que je ne fais pas avec la plume, je le fais avec la pensée et le cœur. Je t’écris de l’âme des lettres bien passionnées, bien tendres, bien longues et bien amoureuses depuis un bout de la journée jusqu’à l’autre. Cela me satisfait presque autanta et cela épargne tes pauvres beaux yeux.
Cher adoré, tu vas mieux, tu me le dis, je te crois. Tu ne voudrais pas me tromper même dans l’intention de me rassurer, n’est-ce pas mon adoré ? Aussi je te crois, mais, hélas ! je ne te verrai pas ce soir, pas demain, c’est effrayant. Cependant je ne désire pas que tu fassesb d’imprudence. Oh ! non, je ne le veux pas. Je saurai avoir du courage. Cela me sera peut-être possible maintenant que je sais que tu vas mieux. Soigne-toi, mon aimé, mon adoré, mon Toto béni. Ne retarde pas par ta faute le moment si attendu et si désiré où je dois te voir. Pense à moi, plains-moi et aime-moi. De mon côté je ne pense qu’à toi, je t’aime à l’adoration et je donnerais ma vie pour t’empêcher de souffrir une minute. Bonsoir, mon ange, c’est l’heure de dormir pour un cher petit malade. Bonsoir, dors bien, rêve de moi, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 93-94
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « presqu’autant ».
b) « tu fasse ».

Notes

[1Cette lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet, à notre connaissance, n’a pas été conservée.

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