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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 juin [1845], lundi matin, 8 h. ¼

Bonjour, mon Victor, bonjour. Si les mots pouvaient parler, ce bonjour-là te dirait plus de choses qu’il n’est gros. Il te dirait que je t’aime, que je suis triste et découragée au dernier point.
Je n’ai éteint ma lampe qu’à une heure cette nuit. Je me suis réveillée d’heure en heure pour savoir où on était de la nuit. Aussi je me suis levée ce matin avant sept heures plus fatiguée que lorsque je me suis couchée. Je ne te fais pas de reproches, mon Victor, mais vraiment, est-ce que tu ne sens pas que je dois être profondément triste et découragée ? Aujourd’hui je ne te verrai probablement pas avant sept ou huit heures du soir et pas plus de trois ou quatre minutes. C’est vraiment déplorable. Tu travailles, dis-tu, je le sais, mais je sais bien aussi que tu ne travailles pas pour tout le monde et que tu es au premier venu plus qu’à moi. C’est le sort de toutes les liaisons comme la nôtre. Tant pis pour ceux dont le cœur est resté stationnaire dans l’amour. Voilà la seule consolation que j’aie à me donner. Il faut convenir qu’elle n’est rien moins que consolante et que je ferais aussi bien de m’en aller assez loin pour te débarrasser de ma personne.
Je m’attends à ce que tu me diras que, n’ayant pas pu venir avant 2 ou 3 h. du matin, tu n’es pas venu du tout. Mais je pourrai en penser ce que je voudrai. En attendant, j’ai le cœur plein d’amertume et de tristesse. Je t’aime, c’est mon éternel et monotone refrain.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 249-250
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


2 juin [1845], lundi après-midi, 2 h. ¼

Mon bien-aimé ravissant, mon Victor trop aimé, mon doux ami, mon courageux enfant, mon généreux homme, je t’aime. J’ai les yeux pleins de larmes et l’adoration plein le cœur. Je m’en veux de te tourmenter et cependant je ne peux pas m’en empêcher, pas plus que de t’aimer. Mon amertume vient de l’excès même de mon amour. Si je t’aimais moins, je ne souffrirais pas de ton absence et tu me trouverais l’humeur toujours égale et toujours satisfaite. Je sens bien que tu ne peux pas me donner plus de bonheur à la fois, mais ce n’est pas assez pour moi qui ai mis toute ma joie et toute ma vie dans ton amour. Ce ne sont pas des distractions étrangères que je te demande : le spectacle, les promenades, l’agitation et le bruit. Non. C’est de te voir, te voir, te voir, mon Dieu, c’est tout pour moi. Je n’ai pas d’autre besoin, pas d’autres aspirations, pas d’autre bonheur que te voir. Le reste m’est égal, je dirai même insupportable. Je n’accepte les autres choses de la vie qu’à travers ton amour et comme un fâcheux appoint. Aussi, mon Victor bien aimé, quand tu me manques, tout me manque, l’air, le soleil, la joie, le bonheur. Je vis dans l’oppressement et la tristesse. Il me semble que je suis menacée d’un grand malheur. Tout prend un aspect noir autour de moi et je me crois la plus malheureuse des femmes. C’est dans cette disposition d’esprit que tu m’as trouvée tantôt. Je le regrette de toutes mes forces et pourtant je ne faisais pas autre chose que de t’aimer plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 251-252
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

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