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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 avril [1845], mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon Victor chéri, bonjour, je t’aime. Je t’ai attendu jusqu’à 1 h. du matin mais tu n’es pas venu. Voilà deux nuits de suite que tu ne viens pas. Voilà deux jours que je te vois une seule fois pendant cinq minutes. Quel est le courage, la patience et la résignation qui résisteraienta à cela ? Il n’y a que l’indifférence qui puisse s’accommoder d’une pareille vie, mais moi, je t’aime plus que tout au monde. Aussi je suis plus triste et plus découragée que jamais. Je voudrais avoir la force de te le cacher, mais je ne le peux pas. Tout ce que je te peux dire, mon Victor, et cela du fond du cœur, c’est que je ne t’en veux pas et que je n’ai pas la moindre amertume contre toi. Je me plains du sort. Voilà tout. Je me plains du bon Dieu qui pourrait arranger les choses autrement. Je me plains de moi qui t’aime trop.
J’espère que tu vas bien et que la santé de ton beau-père [1] ne te donne pas de plus vives inquiétudes ? J’espère aussi que je te verrai tantôt ? D’ici là, le temps va bien me peser et je reviendrai bien souvent savoir l’heure à ma pendule. Tâche, mon Victor bien aimé, de venir de bonne heure que je n’aie pas à souffrir trop longtemps. Je t’assure que mon courage est épuisé jusqu’à la dernière goutte.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 57-58
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « qui résisterait ».


15 avril [1845], mardi soir, 5 h. ¾

Je suis revenue par la pluie battante, mon amour, et sans prendre d’omnibus. Vois-tu, mon cher adoré, après le plaisir de marcher avec toi, il y a celui de refaire la même route toute seule. Tu ne peux pas savoir ce qu’il y a de charme doux et triste à mettre mon pied où tu as mis le tien, à revoir les chosesa que tes yeux ont vues. Je suis donc revenue à pied de compagnie avec la pluie. Je suis restée assez longtemps chez Mme Marre qui me retenait avec l’espoir que le temps s’apaiseraitb. Enfin je me suis décidée à prendre congé d’elle et de ma pauvre péronnelle dont la figure m’a parue altérée et souffrante. J’ai recueillic du reste, la plus grande joie de la nouvelle que j’apportais et les plus grandes félicitations de la part de ma fille et de Mme Marre. Elles m’ont bien promis toutes les deux de garder le secret jusqu’à ce que la nouvelle soit officiellement parvenue au public [2]. Mme Marre avait lu hier dans un journal ta promotion annoncée comme certaine.
Quant à moi, cher adoré, que te dirais-je que tu ne saches déjà ? Rien ne peut te grandir à mes yeux, rien ne peut t’embellir, toi, la beauté faite hommed, rien ne peut augmenter mon amour puisque je t’aime comme jamais femme peut-être n’a aimé. Je ne peux que me réjouir avec toi et avec ta chère famille d’une position qui te facilitera davantage le moyen de servir ton pays, tes amis et tous ceux qui souffrent et qui ont droite à ta pitié. C’est dans ce sentiment que je te félicite de cette nouvelle dignité et que je te crie du fond du cœur : quel bonheur !!! Le moyen que je le crie encore plus fort serait que tu viennes tout de suite et que tu ne me quittesf plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 59-60
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) Paul Souchon et Jean Gaudon lisent : « […] à voir les choses […] ».
b) « s’appaiserait ».
c) Paul Souchon et Jean Gaudon ajoutent ce groupe verbal.
d) « la beauté fait homme ».
e) « on droit ».
f) « tu ne me quitte ».

Notes

[1Pierre Foucher est alors malade. Il décède le 26 mai 1845.

[2Vraisemblablement, Juliette Drouet a annoncé à sa fille et à Mme Marre que Victor Hugo a été nommé pair de France.

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