Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1845 > Avril > 5

5 avril 1845

5 avril [1845], samedi matin, 11 h.

J’ai boudé jusqu’à présent, mon Toto chéri, mais cela me fait trop de mal. J’aime mieux manquer de dignité et soulager un peu mon pauvre cœur en grognant de toutes mes forces. Si tu savais la nuit atroce que tu m’as fait passer, tu aurais pitié de moi et tu te repentirais sincèrement de n’être pas venu cette nuit. Je me suis réveillée à 3 h. du matin, et depuis trois heures jusqu’à sept heures il m’a été impossible de fermer l’œil. J’ai allumé une bougie de guerre lasse et j’ai lu les journaux jusqu’au moment où je me suis levée. Tout cela entremêlé de crainte, de jalousie et d’agitation. Aussi, ce matin je suis à faire peur. On dirait que j’ai fait une maladie de six semaines. Tu vois, mon Victor, combien j’ai raison de redouter ton absence puisque tu la prolongesa volontairement au-delà de toute mesure et de toute raison. Je m’étais bien promis de ne plus t’écrire jamais, mais, hélas ! c’est une punition que je n’ai pas la force de m’imposer à moi-même. Je reviens malgré moi à cette table plus triste, plus découragée et t’aimant plus que jamais. Je sens bien que tu es blasé sur mes souffrances comme tu l’es depuis longtemps sur mon amour. Il ne faudra rien moins qu’une catastrophe pour réveiller ton attention et peut-être quelque chose de plus encore mais il ne sera plus temps. Tout ce que je peux te dire à l’avance, c’est que je te pardonne et que tu es, et que tu seras toujours mon Victor adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 17-18
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu la prolonge ».


5 avril [1845], samedi soir, 6 h.

Duval, mon jardinier, vient de m’apporter une lettre de Claire, laquelle en contenait une de Charlotte. Tout va bien jusqu’à présent. Claire espère beaucoup et la petite fille s’amuse beaucoup, ce qui est un bon signe. Du reste, la lettre de cette petite fille est tout à fait bonne et gracieuse. Je lui ai répondu, comme c’était mon devoir, j’ai même employé mes NEUF SOUS, si péniblement gagnésa, à lui acheter quelques petits massepains [1]. Je suis sûre qu’elle sera très sensible à cette marque d’estime. Du reste tu remarqueras, chemin faisant, que ce qui vient de la flûteb, [Lagarique ?]c, retourne au tambour, Marred [2].
Cher petit homme bien aimé, je te demanderai quelque chose ce soir qui me préoccupee et m’inquiète beaucoup. Je te supplie d’avance de me répondre très sincèrement et sans ménagement. En attendant, je t’aime de toute mon âme. Je ne peux pas détacher ma pensée de toi. Je m’occupe de toi sans cesse. Je voudrais être morte pour ne plus te quitter jamais. Mon Victor adoré, jamais tu ne sauras combien je t’aime. Les jours ont beau être pleinsf de soleil et de joie, mon âme est vide de bonheur tant que je ne te vois pas. Te voir, c’est une fête. Rien n’existe au monde pour moi que toi. Tu le sais. Tu sais si ma pensée va au-delà de ton adorable et ravissant petit être. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 19-20
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « gagné ».
b) « la flutte ».
c) Ce mot est souligné deux fois.
d) « Marre » est souligné deux fois.
e) « me préocupe ».
f) « plein ».

Notes

[1Massepain : pâte d’amandes.

[2Juliette détourne l’expression populaire : « Ce qui vient de la flûte retourne au tambour » qui signifie : « Bien mal acquis ne profite jamais ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne