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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 juin 1844

21 juin [1844], vendredi matin, 10 h.

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon pauvre adoré, bonjour, bonjour, ne sois pas triste. Je baise tes adorables petits pieds, je t’aime, je te supplie de ne pas te faire de mal.
Je suis encore seule aujourd’hui. Eulalie n’est pas venue. J’espère qu’elle viendra demain car c’est sur elle que je compte pour aller chercher Claire et pour la conduire chez son père [1]. La mère Lanvin est toujours à la campagne et son mari reste à son atelier le plus qu’il peut. Cette pauvre enfant ne saurait plus ce que cela voudrait dire si on n’allait pas la chercher demain. Je ne te demande pas de m’y mener aujourd’hui parce que, si près de sa sortie, cela n’aurait pas grand sel ; et puis il est inutile de lui donner des distractions la veille d’un jour de congé. Mais si tu peux me faire sortir n’importe comment pour n’importe où, je serai très heureuse. Je vais me dépêcher dans cette intention. Pauvre adoré, je ne me réjouis plus du beau temps depuis que je sais que c’est une source de nouveau chagrin pour toi et pour ta famille. Je n’ose pas même te parler de ce chagrin, que je partage, dans la crainte de raviver tes regrets. Je te suppliea, mon adoré, de ne pas te faire de mal et de penser à ceux dont tu es le bonheur, la consolation et la vie. Ne souffre pas, je t’en supplie à genoux. Viens me voir, si ce n’est pas une contrainte pour toi ; et laisse-moi t’aimer et t’adorer de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 175-176
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « suplie ».


21 juin [1844], vendredi soir, 7 h. ¼

Te voilà parti, mon cher bien-aimé, et tu as emporté avec toi ma joie, mon cœur, mon âme, ma vie tout entière.
Je te demande pardon d’avoir autant insisté pour sortir tantôt ; il y a des moments comme cela où je sens que l’air me manque et je donnerais tout au monde pour un peu de soleil, de loisir et d’amour. Il y en a d’autres aussi où je suis plus résignée et, tu dois me rendre cette justice, ces moments-là sont encore les plus fréquents. Je te remercie, mon adoré bien aimé, de ta patience et de ta douceur, je te remercie de m’aimer. Hélas ! Si tu ne m’aimais pas, qu’est ce que je deviendrais, mon Dieu, cela ne se comprend pas. Je mourrais ou je deviendrais folle. Ce ne sont pas des amplifications de langage, c’est la vérité sainte et sacrée que je te dis là. Quand je crois m’apercevoira seulement que tu es froid auprès de moi, j’ai l’enfer dans le cœur et je sens ma pauvre raison prèsb de m’échapper. Je t’aime trop, mon Victor, je te tourmente comme je me tourmente, je t’inquiète de mes propres inquiétudes, je le sens et je ne peux pas m’en empêcher. Si je pouvais être toujours avec toi, tous mes vœux seraient comblés et je suis sûre que tu ne t’apercevrais pas de mon mauvais caractère et de mon esprit de contradiction. Pourquoi cela ne se peut-il pas ? Je serais la plus heureuse des femmes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 177-178
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « m’appercevoir ».
b) « prêt ».

Notes

[1Le sculpteur James Pradier.

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