23 mai 1844

23 mai [1844], jeudi soir, 6 h.

Tu n’es pas venu de la journée, mon cher amour, cependant tu as dû aller à l’Académie^a, il ne t’en aurait pas plus coûté^b de venir te baigner les yeux en passant. Vraiment tu n’es pas gentil, mon Toto, et si je pouvais t’en vouloir je t’en voudrais de faire si peu d’efforts pour me donner un peu de joie.
M^me Lanvin est venue chercher Claire pour la conduire chez son père et chez le médecin. Bien entendu on n’a pas trouvé le père et comme je n’avais pas d’argent et la mère Lanvin non plus on n’a pas pu acheter le médicament ordonné par le susdit homéopathe^c. Nous avons en outre calculé que, pour les deux reconnaissances à renouveler^d demain, capital 74 fr. [?] et le treizième mois en sus, il faudrait au moins quatre-vingts^e francs ! Tout cela t’écrase, mon pauvre adoré, et est une des plus puissantes causes^f qui t’empêchent de venir. Je le sens et j’en souffre davantage encore si c’est possible. Tout cela me met l’âme à l’envers. Je m’impatiente, je m’irrite contre ma vie passée, hélas ! sans pouvoir l’anéantir.
Je t’aime mon Victor adoré. Je t’aime mon cher amour mais je suis triste. J’ai fait travailler Claire, deux dictées : une non lue pour comparer les deux entre elles. C’est à peu de chose près les mêmes fautes. La pauvre enfant continue à être bien triste et moi je t’aime de toute mon âme.

Juliette

Vente Boisgirard-Antonin, expert Thierry Bodin, Drouot, salle 4, 24 mai 2019, lot n° 239
Transcription de Jean-Marc Hovasse

a) « académie ».
b) « coûter ».
c) « omoépathe ».
d) « renouveller ».
e) « quatre vingt ».
f) « cause ».