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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 avril [1844], mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon petit Toto bien-aimé, bonjour, mon cher petit homme ravissant mais invisible, bonjour, je t’aime. Je ne compte pas beaucoup plus sur toi aujourd’hui que tous ces jours passés. Voici les beaux jours venus, c’est-à-dire les vilains jours pour moi, car l’été, je te vois encore moins que l’hiver. La nécessité de baigner tes yeux et de sécher tes pieds ne se faisant plus sentir, tu ne viens plus du tout. Je ne veux pas pousser plus loin ma démonstration parce que je tomberais dans le rabâchage et parce que je me ferais trop de mal en me prouvant que deux et deux font quatre et que tu ne m’aimes pas. J’aime autant ne le savoir pas si bien. Ma Clairette travaille ce matin : elle me fait un bouquet nouveau pour mettre dans mon grand vase. La mère Lanvin doit venir la chercher à 11 h. pour la conduire chez le médecin et, peut-être, aussi chez son père [1]. Demain matin, elle rentre à la pension. Elle ne veut pas qu’on attente à ses jours. Elle a parfaitement raison et je l’approuve. Je voudrais bien que vous ayez les mêmes scrupules pour les miens….a Allons bon, voilà que je retombe dans mes jérémiades ! Ma vie toute entière a l’air d’une complainte sur l’air Lorsque dans une tour obscure [2], etc. Baisez-moi, vous me rendez encore plus bête que je ne suis. Baisez-moi et taisez-vous. Vous êtes un monstre. Baisez-moi encore. Je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 29-30
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) 4 points de suspensions courent jusqu’au bout de la ligne.


9 avril [1844], mardi soir, 5 h.

Je ne te vois pas mon Toto, j’ai beau me raisonner pour tâcher de n’en être pas triste, je n’y parviens pas. Je n’y parviendrais jamais car il faudrait que je t’aime moins. Je sais bien que tu es très occupé, mon Toto, mais tu pourrais bien venir ne fût-ce qu’en allant à l’Académie et dans les intervalles que te laissea nécessairement le travail de pensée auquel tu te livres. Enfin, quel que soit le motif qui t’empêche de venir, il n’est que trop certain que je ne te vois pas.
Claire est allée chez son père [3] et chez son médecin en même temps. J’avais chargé Mme Lanvin de la commission que tu m’avais donnée hier pour cette pauvre Mme Pierceau. La cousine [4] a paru comprendre ton intention, elle fera le service à neuf heures. Du reste, Claire et Mme Lanvin ont vu ce pauvre M. Desmousseaux qui fait pitié à ce qu’elles m’ont dit. Clairette avait les yeux tout rouges et, tout à l’heure, je l’ai surprise qui pleurait. La pauvre femme est trop digne de tous ces regrets. C’était un noble cœur. On attend son dernier soupir de seconde en seconde. Hélas ! Tout cela est bien triste. Aime-moi mon Victor, car je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 31-32
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « laissent ».

Notes

[1James Pradier.

[2Cet air, no 372 de la Clé du caveau, provient de la comédie Le Prisonnier ou la ressemblance (1798, paroles de Duval, musique de Della Maria). En voici les paroles : « Lorsque dans une tour obscure, / Ce jeune homme est dans la douleur ; / Mon cœur guidé par la nature / Doit compatir à son malheur. / Si j’entends sa plainte touchante / Je reste triste tout le jour. / Maman, ne sois pas mécontente, / La pitié n’est pas de l’amour.

[3Le sculpteur James Pradier.

[4À identifier.

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