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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 février [1844], samedi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon bon petit homme ravissant, bonjour, bonjour, je t’adore. Il faut espérer que tu n’auras pas de visites ministérielles à faire aujourd’hui et que je te verrai un peu plus qu’hier et avec un moins bel habit ? Je voudrais même que tu me fisses sortir tantôt si ce n’est pas trop abuser de ta bonté. Je ne dis pas de ton loisir puisque tu n’en as jamais dans le moment où je te demande avec tant d’insistance à sortir. Je me souviens que j’ai très à faire aujourd’hui, que j’ai mon peignage à fond et que probablement je ne serai pas prête à temps pour profiter de ta complaisance si tu peux en avoir aujourd’hui. Cependant, il faudra que je ne le puisse pas du tout car je suis très femme à renoncer à mes nettoyagesa pour avoir le plaisir de marcher une heure appuyéeb sur ton bras. Ainsi, mon Toto, tâche d’avoir le temps de me faire sortir et j’en profiterai quoi qu’il arrive.
Je vous ai fait un joli dessin hier [1] ! Vous ne direz pas que ce n’était pas exécuté finement ? Vous voyez que ma main ne se rouille pas dans le repos. Voilà ce que c’est que le véritable talent. Si vous vouliez me récompenser, je vous en ferais comme cela tous les jours. Mais je ne suis pas disposée à prodiguer mes chefs-d’œuvrec à puff [2]. Aussi, si vous en voulez, vous les paierez. En attendant, je baise vos chers petits pieds et je vous aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 157-158
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « nettoyage ».
b) « appuyer ».
c) « chefs-d’œuvres ».


10 février [1844], samedi soir, 6 h. ½

Mon petit Toto chéri, je voudrais bien vous voir un petit brin. Est-ce que vous ne me donnerez pas cette joie avant votre dîner ? On dirait que vous avez fait vœu de ne me voir qu’une minute par jour et cela à l’heure où je suis effroyablement sale et laide. Encore si vous me donniez la compensation de vous revoir une autre minute quand je suis dans mes beaux atours et ma belle chemise blanche, je ne me plaindrais pas mais vous faites exprès de m’humilier en ne venant que dans le moment le plus hideux de mon existence. Vous êtes un monstre, monseigneur, et il ne tient à rien que je ne vous fiche une dégelée soignée. TAISEZ-VOUS !!! J’espère que vous n’aurez pas eu de commission à faire aujourd’hui [3] ? En vérité vous êtes le factotum et l’homme d’affaires du genre humain. J’en excepte une certaine Juju de ma connaissance. Je trouve cela très ridicule et très peu amusant, je vous assure, et j’ai bien envie d’aller voir aux Champs-Lysées [4] si j’y suis. Vous finirez par me faire prendre toute la nature en horreur et vous tout le premier.
Voime, voime, je suis dans mon droit, pourquoi me faites-vous souffrir comme un pauvre chien ? Pourquoi ne me donnez-vous pas de temps en temps un peu de bonheur ? Je suis furieuse contre vous et si vous arriviez dans ce moment-ci, je serais capable de vous sauter à la figure……… de joie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 159-160
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

Notes

[1Dans sa lettre du 9 février au matin, Juliette dessine un rébus-jeu de mots représentant l’expression « cardeur de matelas ou quart d’heure de matelas ».

[2Le puff, mot d’époque, désigne la publicité qu’on donne à ses propres productions, l’autopromotion.

[3Victor Hugo n’a pas de réunion de la commission dramatique prévue ce jour-là. Il a manqué celle de la veille

[4On ne sait pourquoi Juliette utilise cette graphie.

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