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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er février 1844

1er février [1844], jeudi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour, comment vont tes yeux adorés ? Tu ne les as jamais eu si malades, mon pauvre bien-aimé. Et si tu n’as pas la raison de prendre un peu de repos, cela pourra devenir très sérieux.
Je ne peux pas penser à ce que tu souffrais cette nuit sans un serrement de cœur inexprimable. Mon Victor bien aimé, aie pitié de nous deux et prends soin de tes pauvres beaux yeux. Je suis impatiente de savoir si l’air extérieur t’a soulagé ? Et puis je voudrais ne pas te parler de cela parce que je sais que cela te fait mal et je ne peux pas m’en empêcher. Je te demande pardon, mon pauvre bien-aimé.
Voilà un beau temps, mon cher petit homme, puisque tu es obligé de marcher, cela te sera plus agréable que l’affreux temps d’hier. Tâche de venir me voir un moment dans la journée, tu sais si tu me rendras heureuse. Je ne m’attends pas à sortir parce que je sais que tu as Académie aujourd’hui. Tu vois que je suis raisonnable, je voudrais que tu le sois autant pour tes yeux. Mon Dieu, que je suis maladroite, je voulais ne plus parler d’eux et voilà que je recommence.
Je ressemble à Suzanne quand je lui impose silence pendant que je compte ou que j’écris et qui me proteste pendant une heure qu’elle ne parlera pas : « Soyez tranquille, madame, je n’ai pas envie de vous interrompre. Ah ! Ben oui, parler, je n’en ai pas la moindre envie. Je sais bien que quand on parle ça brouille les idées. Vous pouvez t’être bien sûre que je ne parlerai pas. » Je coupe son discours qui n’a rien d’autrement drôle que la ressemblance qu’il y a entre lui et ma sollicitude malentendue.
Je baise tes chers petits pieds, mon adoré, et je les suppliea de te ramener le plus vite possible auprès de mon lit. Jour Toto, jour mon cher petit o, dans dix-sept jours il y aura onze ans que nous nous aimons [1]. Ça n’est peut-être pas très coquet à moi de l’avouer. Mais c’est bien bon et bien doux de se souvenir de si loin. Je t’adore comme le premier jour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 121-122
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « suplie ».


1er février [1844], jeudi soir, 6 h. ¼

Croiras-tu, mon cher bien-aimé, qu’à part les 20 f. des dettes mis de côté, il ne me reste plus un sou de tout l’argent que tu m’as donné tantôt. J’ai envoyé payera Mlle Féau tout de suite 62 f. 50 c. Mme Lanvin est venue, je lui ai donné pour payer samedi : 164 f.  ’ai rendu à Suzanne à ce que je lui devais, 12 f. Dabat a apporté ta troisième botte et je lui ai payé 36 f. Ajoute à l’addition les 20 f. mis à part et tu verras qu’il me reste 5 f. 10 sous pour faire la fille.
J’ai payé Dabat parce que je sais que tu n’aimes pas faire revenir. Du reste, le brave homme a dit qu’il craignait que ta botte neuve ne fasse un singulier effet et ne te gêne, même avec les autres bottes, qui sans être usées ne sont cependant pas toutes neuves. Il pense qu’il vaudrait mieux faire mettre des demib-semelles, cela ne te reviendrait pas plus cher, au contraire. Voilà mon Toto ce que dit le Dabat de la nature.
Moi je dis que je voudrais bien te voir, je serai bien triste si tu ne viens pas avant ton dîner. Je croirai alors que c’est que tu ne m’aimes pas. En attendant, baise-moi sinon en chair et en os comme j’amadoue au moins en pensée et en désir. C’est ce que je fais à tous les instants de ma vie, ne pouvant pas faire mieux, hum ! Si j’étais vous au lieu d’être moi, je ne m’adresserais pas les reproches que je vous adresse depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Je m’aimerais comme je vous aime et je me le prouverais mieux que vous ne le faites.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 123-124
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « payé ».
b) « demies ».

Notes

[1Juliette Drouet est devenue la maîtresse de Victor Hugo dans la nuit du 16 au 17 février 1833.

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