Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Janvier > 19

19 janvier [1844], vendredi matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon Toto chéri. Bonjour, mon Toto adoré. Bonjour mon cher amour, bonjour, je t’aime. Tu ne me tiens aucune de tes promesses mais je t’aime la même chose. Je ne pourrais pas t’aimer davantage si tu les tenais toutes. Seulement, je serais plus heureuse, voilà tout.
J’aurais peut-être aussi moins de maux de tête et moins de douleurs de cœur. Mais qu’importe si tu m’aimes un peu de ton côté. J’attends avec impatience une seconde proposition de sortir. Quelque temps qu’il fasse je l’accepterai. Je vous en réponds, dussé-je m’en crotter jusqu’à la hauteur de Mme Dorval [1] car je vois bien que si je m’amuse à choisir le temps, je cours risque de mourir enfermée dans mon taudis comme un morceau de lard dans une cheminée.
Aussi défiez-vous, à la première proposition de votre part j’accepterai bride abattue.
J’accepterai même celle d’aller au bal de l’Opéra ou autre. Tout m’est bon pourvu que ce me soit une occasion et un prétexte d’être avec vous. Méfie-toi Toto. Voime, voime. Je n’ai pas besoin de vous avertir, vous ne vous tenez que trop sur vos gardes et c’est à grand peine que je vous arrache par-ci, par-là une pauvre petite goutte de bonheur. Vous êtes devenu très coriace et très dur à cuire en amour. Pour peu que ça continue, je ne saurai plus le goût du bonheur que par souvenir. Ça n’est pas très régalant, je vous assure. Taisez-vous, ne dites pas des billevesées. Je vous dis que vous laissez tomber sous l’arbre de notre vie à tous les deux nos plus beaux jours et nos plus beaux amours sans prendre la peine de les ramasser. Personne n’en profite, c’est du beau et bon bien de perdu et dont nous devrons compte au bon Dieu.
En attendant, je vous aime comme si cela vous était bien nécessaire et je vous adore pour ma consommation à moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 69-70
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


19 janvier [1844], vendredi soir, 6 h.

Vous avez beau être très gentil mon Toto et vous barbouiller de pommadea, je vous demande si l’apparition de ce matin peut compter pour toute une journée d’attente et de désirs ? La main sur la conscience est-ce assez ? Je ne sais plus à quel saint me vouer et je ne suis pas surprise si je mêle le jour et la nuit, le soir et le matin, la raison et la folie ensemble. La vie que je mène suffit, que de reste, pour expliquer toutes ces distractions. Enfin, il paraît que vous ne pouvez pas me donner plus de temps car ne fût-ceb que pour ne pas relire toujours la même phrase et en rendre toujours la même antienne, il est probable que vous viendriez quelquefois si vous le pouviez. Aussi, je vous pardonne, mon Toto chéri, et je vous adore sans rancune.
J’ai vu Dabat tantôt, je lui ai commandé les bottes. J’espère ne pas m’être trompée en lui disant d’en faire une foule pour le pied droit. Dans le cas contraire il faudrait me le dire et je rectifierais l’erreur tout de suite.
Suzanne m’a demandé la permission d’aller ce soir chez sa cousine, ce que je lui ai accordé, ce qui fait que je vais dîner un peu plus tôt que d’habitude. Demain j’aurai ma pauvre péronnelle [2]. Pourvu qu’elle ne soit pas malade et que ce rhume n’ait pas de gravité. Voilà une pauvre grande fille qui ne se doute pas des inquiétudes de tous genres qu’elle me cause, trop heureuse encore d’en être quitte pour la peur. Je vous défends d’être malade, vous, et je vous ordonne de m’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 71-72
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « pomade ».
b) « fusse ».

Notes

[1Juliette éprouvait une grande jalousie envers Marie Dorval.

[2Sa fille, Claire Pradier

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne