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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 janvier [1844], vendredi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé. Bonjour toi, bonjour vous, bonjour le plus aimé et le plus adoré des Toto. Bonjour, je te baise bien tendrement sur toutes les coutures et plus avant encore. Tu devrais venir mettre tes bottes ce matin, elles sont prêtes et cela me donnerait en même temps le bonheur de vous voir, ce qui ne m’est pas indifférent, au contraire. Au contraire est joli pour exprimer qu’on donnerait sa vie pour un jour passé avec son Toto adoré. C’est par trop abréviatif aussi.
Jour Toto, jour mon cher petit o, jour je vous aime. Je recommande à Dédé de faire toujours bonne garde et d’éloigner toutes les Clara plus ou moins Duchâtel [1]. Je n’ai pas besoin, moi, que vous me passiez devant le nez avec ces demoiselles tandis que je me morfonds à vous désirer dans mon coin. Prenez garde à vous, scélérat.
Je viens d’envoyer le volume, les reconnaissances et l’argent à la mère Lanvin. Il est probable que nous aurons tout cela demain. Je n’entends toujours pas parler de M. Pradier. Claire travaille à force à des exercices de grammaire et de calculs. Seulement, je ne suis pas en état de savoir si elle travaille utilement. Je suis sûre seulement qu’elle emploie son temps. Je voudrais te voir, mon amour, pour me remplir les yeux et le cœur de joie. Je t’aime, mon Victor, comme jamais femme n’a aimé un homme et je te vois si peu que c’est un supplice qu’aucune créature humaine n’aurait pu supporter comme moi. Mais les forces me manquent quelquefois et j’ai besoin que tu viennes m’en redonner dans un baiser. Mon Toto chéri, je baise tes yeux, ta bouche, tes mains, tes pieds. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 15-16
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


5 janvier [1844], vendredi soir, 9 h. ¾

Vous vous tirez toujours fort adroitement des mauvais pas dans lesquels vous vous engagez, mon Toto, je le sais que de reste mais que devient l’amour, que devient le bonheur de votre pauvre Juju dans tout ça ? Vous avez eu beau me dire de votre voix la plus douce et avec votre plus charmant sourire que vous m’aimiez, je n’en conserve pas moins la douloureuse impression de vos baisers donnés d’une manière si ridiculement passionnéea à la somnolente Mme Guérard. Je sens à la tristesse profonde que me causent tous ces petits faits que vous traitez si légèrement à présent que je touche à quelque affreuse révélation. J’ai beau avoir fait d’avance le sacrifice de ma vie à ton amour, le jour où il me sera prouvé que tu ne m’aimes plus j’éprouverai tout le désespoir de l’inattendub. J’éprouverai mille morts dans un moment. J’aurai l’enfer dans le cœur. Je ne sais pas ce que je deviendrai : d’y penser seulement cela me fait peur.
Je ne te dis pas cela pour t’effrayer, mon Toto, car je sais trop bien que rien ne peut retenir l’amour qui s’en va. Je me tuerais sous tes yeux que tu ne pourrais pas m’aimer une seconde de plus. Aussi, je ne compte sur rien en ce monde pour prolonger ton amour au-delà de ce que tu le sentirais tout naturellement. Seulement je guette avec angoisse le moment où tu ne m’aimeras plus car je ne veux pas m’imposer à toi. Je ne veux pas de ta pitié et de ton dévouement, je veux ton amour voilà tout.
Je suis triste ce soir, mon Toto, depuis bientôt onze ans c’est la première fois que tu m’as donné le chagrin de te voir désirer une caresse qui ne soit pas de moi mais c’est encore trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 17-18
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « passionné ».
b) « l’inatendu ».

Notes

[1Expression à élucider que Juliette reprend avec des variantes : le 6 janvier 1844, samedi soir, « et autre Clara plus ou moins Clémentine » ; le 15 mai 1848, après-midi, « avec les diverses Clara plus ou moins Duchâtel que vous protégez ».

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