Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1843 > Novembre > 22

22 novembre [1843], mercredi matin, 9 h.

Bonjour mon petit bien-aimé triste, bonjour, je t’aime. Bonjour mon pauvre ange doux et charmant. Bonjour, bonjour, ne sois pas triste, je t’adore. Pense à tous ceux dont tu es la joie et le bonheur. Pense à moi dont tu es la vie.
On n’est pas encore venu chercher Claire. Rien n’est plus ennuyeux que ces retards continuels sans motifs. Ces pauvres Lanvin sont de bien bonnes gens mais ils sont très lambins et trop blaireux. Je viens d’envoyer au marché savoir s’il n’y a pas encore d’anicrochea. Du reste, ma pauvre Clairette a toujours son mal de tête, c’est terrible. J’ai toujours peur d’une fièvre cérébrale, quoique je n’aie pas l’air d’avoir aucune inquiétude vis à vis d’elle. C’est un moment terrible pour les jeunes filles quand la nature ne suit pas son cours ordinaire. Dieu me préserve d’un malheur, ce serait affreux. Je ne serai tranquille que lorsque tout sera revenu à l’état normal. En attendant, je lui fais toutes les recommandations possibles pour qu’elle ne fasse pas d’imprudence et qu’elle suive les avis du médecin de jour en jour. J’espère comme ça que nous aurons bientôt raison de ce mauvais vouloir de la nature.
Ma ménagerie n’est pas encore réveillée. Quant au voyageur florida [1], ça n’a rien d’étonnant mais Cocotte est ordinairement plus matinale surtout dès qu’elle entend du bruit. Elle respecte le repos de son gros camarade. C’est très bien de sa part et je lui en ferai mon compliment.
Suzanne revient du marché, c’est la mère Lanvin qui doit venir chercher Claire à neuf heures. Il en est déjà neuf un quart passé. Enfin voilà ce qui arrive quand on ne peut pas faire ses affaires soi-même.
Mon cher petit Toto ce n’est pas tout ça que je voulais te dire. C’est que je t’aime de toute mon âme. C’est que je suis triste de ta tristesse. C’est que je donnerais tout mon sang pour t’empêcher de souffrir. C’est que tu es mon adoré bien-aimé que je baise et que j’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 79-80
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « annicroche ».


22 novembre [1843], mercredi soir, 6 h. ½

Tu dois être bien fâché contre moi, mon adoré, et tu as mille fois raison. Cependant je t’assure que j’emploie bien mon temps et que mon seul désir est de te plaire. Cela ne m’empêche pas de n’être jamais prête quand tu viens et d’être faite comme une sorcière. Il faudra décidément que je m’arrange autrement. Aujourd’hui c’était le jour des arias [2]. D’abord ma pauvre péronnelle qu’il a fallu attifer pour aller à cette [mairie ?], et nettoyer ensuite comme une enfant de cinq ans tant elle était crottée quand elle est revenue. Faire [illis.] la mère Lanvin, empêcher Jacquot de dévorer tout le monde, ce qui ne l’a pas empêché de mordre le dessus de la main de Claire, puis Clémentine qui était déjà venue plusieurs fois pour m’essayer les robes que je lui avais donnéesa à arranger quand je suis allée en voyage. Tout cela, mon adoré, avec la blanchisseuse et les jours courts, m’avait occupéeb jusqu’au moment où tu es venu. Au reste, c’était le jour des couturières aujourd’hui. Celle qui m’a fait ma robe noire et ma robe de chambre est venue après Clémentine. Je l’ai payée tout de suite parce que c’était la troisième fois qu’elle venait. Je lui ai donné 30 F. pour 31 F. 75 C. J’ai payé Suzanne, la blanchisseuse et mis l’argent de Dabat de côté et il me reste juste 3 F. 14 sous ½ pour demain. J’ai cru bien faire en payant la couturière parce que tu me l’avais déjà dit plusieurs fois. Si je me suis trompée, mon bon ange, il ne faudra pas me gronder.
Voilà une lettre aussi poétique et aussi intéressante qu’un mémoire de : riz, pain, sel, bouton de guêtre, etc. Mais c’est ta faute aussi. Pourquoi veux-tu QUE JE TE RENDE DES COMPTES ? Il ne me reste pas assez de papier pour te dire ce que la marchande d’oiseaux a dit de mes animaux. Je te le dirai tout à l’heure de vive voix mais je voudrais bien te baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 81-82
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « donné ».
b) « occupé ».

Notes

[1C’est le seul mot que sache prononcer le perroquet Jacquot, arrivé la veille de Bretagne, offert à Claire par le beau-frère de Juliette.

[2Arias : occupations de ménage occasionnant du dérangement.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne