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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 décembre [1843], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon cher bien-aimé de mon âme, bonjour tout ce que j’aime, bonjour toi, bonjour vous.
Je te donnerai le Corsaire pour allumer ton feu parce que le papier est bien doux et je garderai le messager pour mettre mes papillotesa parce que le papier est bien dur, c’est assez juste, et je m’empresserai de faire ce que tu désires. Voime, voime, prends garde de la perdre vieux scélérat.
Il fait encore bien beau aujourd’hui mais vous ne voudrez pas me mener au daguerréotype. Le jour de l’an arrive à grands pas et vous n’aurez pas tenu votre promesse envers cette pauvre enfant et je n’aurai pas votre cher petit museau à baiser tout neuf pour ce jour-là. Je sais bien que j’en ai d’autres mais, ce qui abonde ne vicie pas, dit le proverbe, qui ne sera jamais plus vrai que dans cette circonstance. Je voudrais suppléerb à votre si rare présence par des millions d’images de vous dans tous les coins de ma chambre. Si vous ne comprenez pas ça c’est que vous ne m’aimez pas. Mais je voudrais que ma pauvre péronnelle n’ait pas de chagrin ce jour-là. C’est si triste à son âge de ne pas avoir une chose sur laquelle on comptait. Mais ne rien avoir du tout car tu sais, mon cher petit bien-aimé, qu’excepté nous, elle ne reçoit de cadeau de personne, pas même de son père. Je sens bien aussi que tu es très occupé, mon cher amour, et qu’il t’est difficile de saisir les courts et rares instants propices à ce genre de travail. Je sais cela et je ne t’en veux pas de ne pouvoir pas le faire. Je le regrette et voilà tout.
Je t’aime, mon Toto, tu ne sauras jamais jusqu’à quel point car je ne le sais pas moi-même. Je t’aime plus que le bon Dieu n’est grand et éternel.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 155-156
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « papillottes ».
b) « supléer ».


12 décembre [1843], mardi soir, 5 h. ¾

Je t’attends mon cher petit pour te couper ta cravatea à la grandeur juste qu’il la faut parce que j’ai oublié hier la mesure que j’avais prise et que je n’avais pas pris la précaution d’écrire. Mais surtout je t’attends pour être heureuse, pour te baiser sur les yeux, le nez, la bouche, etc, etc. Je trouve que vous lui donnez trop de temps à elle, c’est payer bien cher quel que soit le potelage et la blancheur de ses jolies petites mains, un ignoble récurage. Le Corsaire suffisait, et de reste, pour payer un si beau dévouement. Je vous conseille de ne pas aller au-delà.
J’ai vu Mme Triger tout à l’heure. Elle allait dîner chez son cousin Fleury. Elle est venue seule parce que son fils devait aller la rejoindre chez son apothicaire de cousin. Du reste je crois qu’elle viendra un de ces jours dîner avec lui chez moi. Je l’y ai engagéeb faiblement, tout juste pour ne pas lui dire de rester chez elle. C’est une excellente femme mais peu amusante, y compris son fils qui est parfaitement insignifiant.
Tout cela est bien intéressant à te dire, n’est-ce pas mon cher petit homme ? Juju est bien spirituelle et elle a beaucoup d’imagination. Voime, voime, comme un pain d’un sou. Ah ! bien ça ne vous regarde pas vous, pourvu que je vous aime mieux que n’importe quelle femme. Vous n’avez rien à dire, taisez-vous, venez tout de suite ou craignez ma fureur. Vous ne savez pas assez de quoi je suis capable.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 157-158
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « cravatte ».
b) « engagé ».

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