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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 octobre [1842], lundi soir, 5 h. ½

Je crois avoir fait pour le mieux mon cher amour en faisant venir ma fille ce soir. Si je me suis trompée c’est à bonne intention absolument comme lorsque je tiens mes comptes. Cette fois encore j’ai dépensé 58 F. 12, plus que je n’avais reçu. J’ai rétabli l’équilibre en portant ce déficit sur la recette car il est évident que puisque je les ai dépensésa c’est que je les ai reçusb d’amour, du moins cela paraît probable. Du reste, mon adoré, je te prie de considérer avec attention non seulement le total de la dépense générale du mois mais aussi en détail chaque dépense. Tu y verras que défalcation faite des dépenses en dehors de ma maison, il y a pour ce mois-ci 627 F. 11 ½ sur lesquels il y a à prélever pour le bois : 105 F. 16 plus ta nourriture tout le mois et ton blanchissage. Pour ma toilette j’ai 150 F. 4 sur lesquels j’ai 89 de chemises et mouchoir et 29 F. de coiffeur et de drogue pour les cheveux. Ce qui fait déjà pour ces deux choses seulement 118 F. Reste donc 32 F. sur lesquels j’ai eu plusieurs jours d’ouvrière et mon entretien ordinaire. Tu vois mon pauvre ange que somme toute je n’ai pas dû faire de grandes extravagances de coquetterie. Quant à la nourriture montant à 231 F. 11 ½ tu dois tenir compte de ta nourriture tout le mois et tu sais que je n’ai pas la moindre provision d’avance. De même pour le blanchissage dans lequel le tien est compris plus trois blanchissages arriérés de l’autre mois ainsi que tu peux te le rappeler. Enfin, mon pauvre adoré sur cette somme de 627 F. 11 ½ je ne vois rien à retrancher si ce n’est la présence de ma fille et de quelques amies qui viennent le dimanche. Chose facile après tout si la nécessité l’exige et toi seul peuxc être juge de cela. Je suis toute prête quant à moi, et avant de te faire faire un mauvais dîner, ou de ne pas te recevoir dans des draps blancs, je supprimerai le petit plaisir du dimanche sans la moindre hésitation et presque sans le moindre regret car avant tout je ne veux pas t’être à charge au-delà de tes forces et de ton courage. Ainsi mon amour je te dis cela sans la moindre mauvaise humeur, sans la plus petite arrière-pensée. C’est à toi de juger de tes ressources, de ta santé et de prononcer sur ce qu’il faut que je fasse. Je laisserai ma fille jusqu’au jour de l’an ainsi que tu l’as très bien dit et quant au petit Pierceau [1], je ne crois pas nécessaire de revenir sur ce qui est fait. Il n’est pas à plaindre et puisque je n’ai pas eu le mérite de l’à-propos je ne vois pas la nécessité de faire un post-scriptumd à sa caisse.
Je te demande pardon, mon adoré, de ne te parler que comptes, que détails de ménage, mais c’était nécessaire et je me sens d’ailleurs plus hardie et plus à mon aise sur le papier qu’en paroles. Je t’aime mon Victor et la pensée que tu peux avoir un regret de t’être engagé plus que tu ne croyais me trouble à un point que je n’ose pas te dire mais peut-être est-il temps encore de remédier à cela. Si c’est possible mon adoré je n’hésite pas pour [illis.] c’est à toi de voir ou en sont tes forces et ton amour.

Juliette

Bibliothèque Romain Gary, Ms. 886 (10)
Transcription de Marion Lemaire

a) « dépensé ».
b) « reçu ».
c) « peut ».
d) « criptum ».

Notes

[1Auguste Pierceau, fils de l’amie couturière de Juliette Drouet Mme Pierceau.

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