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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 décembre [1837], dimanche midi

Bonjour mon cher petit homme bien aimé. Je suis toujours un peu grinchi grinchou. J’ai un mal de tête absurde et de plus j’ai fait de mauvais rêves. Ne vous étonnez donc pas, mon petit homme chéri, si je suis encore plus maussade et plus bête que d’habitude mais extasiez-vous si vous le voulez de ce que je vous aime toujours également dans toutes les circonstances de ma vie, bonnes ou mauvaises. À quelque heure que ce soit, je vous aime de toute mon âme. Ceci n’est pas une banalité comme vous pourriez le croire au premier aspect. C’est la chose la plus rare et la plus vraie qui se soit jamais dite et sentie. Oh ! oui. Je t’aime mon Victor. Je ne te le dis pas bien parce qu’il est difficile d’être et de paraître. Je suis amoureuse. Voilà pourquoi je parais bête mais au fond je ne suis que stupide.
Jour mon petit Toto. Est-ce que tu ne viendras pas de bonne heure aujourd’hui ? J’ai tant besoin de te voir. J’espère tant me remonter auprès de toi que d’ici là je vais me laisser aller à deux cents pieds sous l’ennui [1] pour que tu aies plus de gloire à m’en retirer. Je ne sais pas si Mme Pierceau viendra tantôt. Dans tous les cas ça m’est égal et si tu venais je préféreraisa qu’elle restât chez elle. Je n’ai besoin que de toi. Je n’aime que toi. Je ne pense qu’à toi. À force de te le dire je le sens mieux que la première fois. Je t’aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 128-129
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « préférais ».


3 décembre [1837], dimanche soir, 5 h. ½

Il est déjà bien tard mon cher petit homme et je ne vous ai pas encore vu. Je suis bien triste et j’ai bien froid car je ne fais qu’allumer mon feu seulement maintenant. Je n’ai vu ni Mme Pierceau ni mon blanchisseur. Il paraît que tout le monde vous copie platement. Si vous m’aimiez cela n’arriverait pas. Je suis bien triste, allez. Si vous ne venez pas avant le dîner il est probable que vous me trouverez couchée et malade car déjà ça se mitonne on ne peut mieux. Heureusement que nous n’avons plus que deux jours d’ici à mardi. Dieu merci, le procès perdu ou gagné sera terminé pour ne plus recommencer [2]. J’espère qu’alors vous aurez un peu plus de temps pour penser à moi et que je vous verrai un peu plus de cinq minutes tous les jours. Je grogne mon Toto parce que je t’aime. Plus j’ai d’ennui et d’impatience et plus c’est une preuve que je t’aime. Si tu ne le sais pas c’est que tu ne te connais pas à l’amour et que tu ne m’aimes pas. Tâche que je ne m’en aperçoivea pas trop ce soir car je suis déjà un peu malade et cela m’achèverait. Bonsoir pa, soir man. Voici Mme Pierceau. Je t’aime. Je t’attends plus que jamais et je t’aime davantage de minute en minute et je te baise de seconde en seconde de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 130-131
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « apperçoive ».

Notes

[1Hyperbole sur le modèle de l’expression « à six pieds sous terre », profondeur à laquelle on creuse une tombe.

[2C’est le 5 décembre qu’aura lieu l’audience devant la Cour royale de Paris dans le cadre du procès entre Victor Hugo et la Comédie-Française, celle-ci ayant fait appel à la suite du jugement du Tribunal de commerce qui avait donné raison à Hugo (20 novembre).

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