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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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BnF, Mss, NAF 16323, f. 62-63 / 4 février

4 février [1835], dimanche après-midi, 4 h. ¼

Je ne m’excuse pas, mon cher adoré, de la scène ridicule que je viens de te faire puisque ce serait m’excuser de trop t’aimer. D’ailleurs, je ne suis pas encore bien convaincue de la nécessité de ta visite dans la loge de ces dames. Autrefois, tu aurais pensé à moi et tu n’y serais pas allé, c’est qu’autrefois tu m’aimais tandis qu’à présent, tu rends service à tes amis…aJe tâche de me mettre à ton diapasonb. Je n’y réussis guère. Il viendra un temps, je l’espère, où je serai tout aussi indifférente que toi sur toutes ces matières de délicatesse et d’amour ; alors nous serons heureux et la paix de notre liaison ne sera plus troublée.
Je reviens malgré moi à ta visite à Mme de [illis.]. Pourquoi donc ne me l’as-tu pas dit cette nuit quand je te demandais si tu avais vu quelqu’un et si tu étais sorti de ta loge ? Certes, l’occasion était toute naturelle de me dire que tu avais été dans cette loge découverte. Sans doute tu avais dans ce moment-là des raisons pour me le cacher puisque tu ne me l’as pas dit. Je t’impatiente, n’est-ce pas, en insistant sur cette circonstance ? Mais moi, je souffre, c’est bien plus. En voilà au moins pour toute la journée. Il est vrai que pour me rassurer et raccommoderc [tout  ?] ce gâchis d’allées et venuesd, tu me promets de ne plus rien me dire et moi je me promets d’être plus en garde que jamais, [et  ?] de me tourmenter jusqu’à ce que la mort de mon amour s’en suive. Jolie disposition de part et d’autre, n’est-ce pas ? et qui montre jusqu’où ton amour est descendu et jusqu’où le mien peut aller. Cependant, tout peut encore se réparer si tu veux m’aimer autant que je t’aime. Si tu veux avoir pour moi la dixième partie des attentions que j’ai pour notre amour, nous serons heureux et tranquilles, et je ne pleurerai plus et je ne maudirai plus notre amour, et je serai joyeuse et j’aurai le bonheur sur les lèvres et dans les yeux. Mais cela peut-il redevenir ainsi ? Est-ce qu’il est possible de faire reverdir l’arbre qui a été gelé sur pied ? Je ne le crois pas malgré mon ignorance en toutes choses et surtout en horticulture.
Toi qui as été et qui est encore mon MAÎTRE, tu peux seul me répondre et me rassurer, et je suis si avide de consolation et si inséparable de mon amour que je te croirai de toute mon âme. Te voilà parti pour longtemps, je suis sûre. Tu n’es pas homme à te prodiguere deux fois dans le même jour. Tout ce que je peux espérer c’est de te voir un moment cette nuit. Je tâcherai d’ici là de reprendre ma gaieté. Tu m’as appris que les larmes étaient un mauvais hameçon pour prendre et tenir les amants : « On en prend plus avec la joie qu’avec les pleurs. » [1] Je ne l’ai pas oublié et je veux sourire pour voir si je vous reprendrai, mon adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16323, f. 62-63
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) Des points de suspension courent jusqu’à la fin de la ligne.
b) « diapazon ».
c) « racommoder ».
d) « allé et venue »
e) « prodiguez ».

Notes

[1Air de l’opéra Esmeralda tiré de Notre-Dame-de-Paris (musique de Louise Bertin, livret de Victor Hugo). « Comme ma belle fiancée / Gronde aujourd’hui ! / Le soupçon est dans sa pensée. Ah ! quel ennui !/ Belles, les amants qu’on rudoie / S’en vont ailleurs. / On en prend plus avec la joie / Qu’avec les pleurs. » (Acte II, scène 2.)

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