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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 octobre [1843], vendredi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon cher amour, bonjour, bonjour, je vous aime. Vous voyez à la dimension de mon papier que je ne veux pas mettre de discrétion à vous le dire. Au reste, vous pouvez épargner à vos beaux yeux la peine de lire ce gribouillis qui se répètera depuis le premier mot jusqu’au dernier, et qui accomplira, mieux que le daguerréotypea, le phénomène de la reproduction, indéfinie, des reflets du reflet. Je vous permets, et même je vous ordonne au besoin, de ne lire que le premier mot et de dernier mot de tous mes gribouillis quotidiens. De cette façon, vous saurez tout ce qu’ils contiennent et vous soulagera d’autant vos pauvres beaux yeux que j’adore et que je baise.
Je vous dirai chemin faisant que mon mur fait très bien et ma porte aussi. Je ne hais pas cette chaudronnerie seulement je crains que ce ne soit pas très solide, la porte surtout. Quant au bénitier, il sera difficile d’en tirer parti à cause du cordon de sonnette qui est placé juste au milieu du lit. J’aurais besoin de vos conseils pour lever cette difficulté. Il est vrai que vous me les donner avec tant de parcimonie que c’est comme si vous ne m’en donniez pas du tout. On voit que rien ne vous est plus indifférent, sinon plus à charge, que de vous occuper de l’intérieur de ma maison. Si j’ai tort de penser ainsi, je vous en demande un million de pardons mais cela me fait cet effet-là. D’ailleurs, si vous mettez trop de discrétion à me donner un avis, moi je mets trop d’indiscrétion à vous les demander. Ainsi tout se compense. Baisez-moi, cher petit o. Vous devriez m’écrire des lettres du comte d’[Escars  ?]…. avec tous les sous-entendus que vous voudrez, mais, bien bonnes et bien tendres, et je vous réponds que, de quelque Cognac qu’elles soient empreintes, je les baiserai, je les mettrai sur mon cœur, je les lirai le jour et la nuit. Il me semble que je mérite autant de pitié que Charlot ? Et j’accepte avec plus d’empressement et plus de confiance qu’il ne le fait votre secours pour cette triste et mélancolique [tristesse  ?] qui m’accable dès que je vous perds de vue. Je vous prie de m’administrer le remède de Charlot tout de suite.
Voici une révélation domestique, de domestique. Ma servarde vient de me dire qu’il n’y a plus du tout d’huile à brûler et comme on vient d’apporter la lampe, il est de toute nécessité d’en avoir. Je vais donc en envoyer chercher 20 livres qui feront une fameuse brèche sur mon pauvre argent. D’un autre côté, il n’y a pas de profit à user de la bougie et on y voit moins clair. Ceci n’est pas autrement intéressant à te dire et je ne le fais que pour te donner l’emploi de mon argent.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vous aime, qu’on vous dit. Vous vous en fichez bien, n’est-ce pas ? Mais moi qui ne m’en fiche pas voilà la différence. Ça m’est plus nécessaire que l’air que je respire, c’est ma vie et mon bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 225-226
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « daguerrotype ».


20 octobre [1843], vendredi soir, 4 h. ½

Je suis hideuse et presque formidable à force de malpropreté, mon cher petit, et cependant, avant toute chose, avant le soin de ma personne, je veux me donner la douce satisfaction de vous dire combien je vous aime.
Aujourd’hui j’ai nettoyéa mes tapis, j’en ai enlevé toutes les taches de bougie qui les couvraient. Me voici à peu près arrangée pour passer mon hiver. Le papier de l’entrée posé demain et tout sera dit pour cette année. Mais tout cela n’empêche pas que je ne suis horriblement sale. Heureusement que le tonneau n2 n’est pas sec et que je pourrai me tremper et me rincer à grande eau pour me décrasser un peu. Je vais me dépêcher d’en essuyer afin que vous ne me trouviez pas dans cette dégoutante malpropreté si vous veniez.
Comment allez-vous mon amour ? Comment va votre petite oreille, et comment va le ventre du petit Toto [1] ? Pensez-vous à moi ? Me regrettez-vous ? Me désirez-vous et m’aimez-vous ? Toutes ces questions qui restent sans réponses en recevraient de bien bonnes si elles m’étaient faites par vous. Enfin c’est tout simple, moi qui vous aime sans partage et vous vous m’aimez comme vous pouvez : un peu par-ci par-là. Baisez-moi cher petit homme et pardonnez-moi si je vous offense. Dieu sait que je ne demande qu’à vous demanderb très humblement pardon et à vous avouer mes torts de ce côté-là. Ma plus grande peur, c’est d’avoir raison.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 227-228
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « netoyé ».
b) « demandez ».

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