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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 septembre, lundi, 8 h. du matin

Bonjour mon pauvre bien-aimé, bonjour, bonjour, je t’aime, je t’aime. Il y a deux mois aujourd’hui nous partions pour ce voyage si impatiemment et si ardemment désiré. Nous ne prévoyions guère alors, mon Dieu, l’affreux malheur qui devait l’abréger [1]. Le bon Dieu sait ce qu’il fait. Mais pour nous qui ne voyons que la moitié des choses, c’est un malheur bien injuste, bien cruel et bien immérité.
Les regrets et les marques de sympathie t’arrivent de toute part, mon cher adoré. Jusqu’à présent tu savais combien tu étais admiré du monde entier, maintenant tu sauras combien tu en es aimé. Mais je sens bien que tout cela n’est pas la consolation, mon pauvre cher adoré, je le sens plus que je n’ose te le dire et je souffre deux fois de ton malheur et de mon impuissance à te consoler.
J’ai encore rêvé de toi et de ta famille toute cette nuit mon cher bien-aimé, tu ne sauras jamais combien je les aime tous et combien tu es ma vie et mon âme. Je vois avec tristesse la longueur de la journée d’aujourd’hui. Je sais que tu ne viendras pas avant ce soir au plus tôt et cela me désespère. Je sens que tu souffres loin de moi, mon cher adoré, et cela me rend ton absence encore plus odieuse et plus insupportable. J’ai beau me forcer à des occupations matérielles dans ma maison, je ne peux pas parvenir à distraire ma pensée un seul moment de ce que tu souffres et je suis la plus malheureuse des femmes. Tâche d’abréger ce supplicea, mon adoré, en venant me voir le plus tôt que tu pourras et surtout en te calmant mon cher bien-aimé ! Que je ne voie plus ta pauvre petite figure si belle et si douce dévastée par le chagrin et par le désespoir.
Mon Toto bien-aimé, pense à moi, pense à mon amour si vrai, si dévoué, si tendre et si passionné et sois heureux encore. Je voudrais te donner ma vie pour te persuader combien elle est toute à toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 123-124
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « suplice ».


18 septembre, lundi soir, 5 h. ¾

Croirais-tu mon cher bien-aimé que je ne me suis pas assise depuis que je t’ai écrit ma première lettre ce matin et que je ne me suis pas encore débarbouillée ? C’est cependant bien vrai. Voilà comme de nettoyagea en nettoyagea, et de rangement en rangement, je suis arrivée tristement jusqu’à cette heure-ci. Et toi, mon pauvre adoré, que fais-tu ? Que deviens-tu ? Dans quel état est ton pauvre cœur ? Voilà mon souci de toute la journée. Je ne peux pas penser à autre chose qu’à toi. Je vois toujours ta ravissante petite figure désolée et cela me brise le cœur. Pauvre adoré, pauvre adoré, pourquoi ne puis-je pas donner ma vie en échange de tes douleurs ? Avec quelle joie, avec quel bonheur et quel amour je la donnerais. Tu le crois bien, n’est-ce pas mon adoré ? C’est si vrai que si tu en doutais, mon amour, ce serait comme si tu doutais de toi-même. Quand te verrai-je mon cher adoré ? Est-ce que tu ne viendras pas un peu avant le dîner ? Ce serait une bonne action que tu ferais car cela me rendrait bien heureuse.
Cocotte vient d’arriver. Elle est toujours aussi douce et aussi jolie qu’auparavant notre départ. Ce serait vraiment un cadeau à faire à notre pauvre Dédé. Tu la verras et tu décideras.
J’ai bien hâte de te voir, mon Toto ; après avoir travaillé toute la journée, je serais bien récompensée si tu venais m’apporter ta chère petite bouche à baiser. Hélas ! J’ai bien peur que toute mon impatience, tous mes désirs et tout mon amour ne te fasse pas venir avant onze heures ce soir. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 125-126
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyage ».

Notes

[1Victor Hugo est en deuil de sa fille Léopoldine, morte le 4 septembre, noyée dans la Seine, tandis que Hugo était en voyage avec Juliette

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