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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 3 février 1853, jeudi midi ½

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon Toto adoré, bonjour. Comment ça va ? M’aimez-vous ? Moi je vous aime plus que je ne veux, ce qui me rend incapable de toutea autre chose. Et à ce sujet je vous dirai que je ne sais pas comment je ferai pour consentir à lâcher un seul de ces petits portraits dont les attitudes et les expressions diverses correspondent à des sentiments particuliers de mon cœur, depuis la crainte jusqu’à l’admiration, depuis la tendresse jusqu’à l’adoration. Cependant je sens que je ne dois pas abuser de votre confiance et qu’il faut que je consente à d’affreux RESTITUS , mais je sens aussi que cet acte de haute probité sera bien pénible à ma vertu. C’est à ce point que je n’ose plus trop les regarder pour ne pas m’y acoquiner de peur de pousser cette coquinerie jusqu’à ne plus vous les rendre. Je sens que cela ne tient qu’à un fil ; Toto, prenez garde à vos MACHINS et ne vous fiez pas trop à ma douteuse délicatesse. Cet avertissement donné, ma conscience n’a rien à me reprocher. Tant pire si vous ne profitez pas de ce moment d’excessive honnêteté ridicule. J’espère que tu ne seras pas revenu seul hier au soir de Saint Hélier [1] ? Je l’espère parce que je ne t’ai pas vu mais cela n’est pas tout à fait une preuve convaincante pour ma sécurité. Il me semble que ces braves démocrates pourraient bien faire leur réunion le jour. Ce serait plus commode de toute façon et cela ne te forcerait pas de changer tes heures de repas et à priver ta famille du bonheur d’être avec toi le soir. On devrait y penser et ne pas t’imposer de pareilles corvées à des heures si indues dans une île. En attendant moi je t’adore à toutes les minutes de la journée et je t’aime le reste du temps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 129-130
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « tout ».


Jersey, 3 février 1853, jeudi après-midi, 2 h. 

Je viens de te faire reporter ton parapluie par Suzanne ; car, malgré ton mépris pour ce genre d’instrument, il serait bien impossible sans folie à toi de sortir sans lui par cet affreux temps de pluie continue. On dit que le bateau poste n’est pas encore signalé, ce qui retardera la distribution des lettres. Cela m’intéresse pour vous, mes pauvres Toto un et deux [2]. Quant à moi, personnellement, cela m’est égal puisque je n’attends ni ne désire aucune lettre de Paris. À propos j’ai retrouvé l’histoire de mon épicier et de mes trois=six Suisses français [3]. Il paraît que l’affiche grotesque que nous avons lue l’autre jour imprimée était de lui.

5 h. ½ du soir

Si vous aviez suivi le conseil que je vous avais donné au commencement de mon gribouillis vous n’en seriez pas oùa vous êtes avec votre infortunée casquette grillée. Si vous m’aviez obéi hier au soir, vous n’auriez pas eu besoin de vous tremper comme un caniche tantôt. Enfin, si au lieu d’être un académicien rouge et têtu vous étiez un docile Toto, vous ne vous exposeriez pas de gaîté de pluie à des gouttesb plus ou moins sciatiques, à des rhumatismes articulaires, sans nécessité, uniquement pour me tourmenter et pour gâter à plaisir votre admirable santé. Tout cela est fort bête pour un homme qui n’en [a] pas la prétention. Maintenant revenez bien vite vous sécher et achever de consumer votre casquette car le besoin s’en fait sentir depuis que l’affreuse odeur de roussi commence à passer. Je vous attends mèche allumée et cœur idem.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 131-132
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « a »
b) « goutte ».

Notes

[1Capitale de l’île de Jersey. Son port en cours d’aménagement à l’époque se plaçait au 7e rang des ports anglais. La ville qui comptait une population de trente mille habitants avait produit sur Auguste Vacquerie, à son arrivée en août 1852, une impression très négative : « la ville se cache dans un coude de la falaise, entre une colline qui porte le Fort Régent et une autre colline qui s’appelle le mont Patibulaire. Un canon et un gibet, voilà les fleurs que Jersey vous présente quand vous débarquez. L’aspect n’en est pas égayé par un grand bêta de port tout neuf sans un bassin fermé pour retenir l’eau, où barbotent, à mer haute, une demi-douzaine de bâtiments à fort tonnage, et qui, à marée basse, exhale l’odeur de la vase et de la fièvre. » Auguste Vacquerie, Les Miettes de l’histoire, Pagnerre, 1863, p. 385.

[2Victor Hugo et son fils cadet François-Victor.

[3À élucider.

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