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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 30 janvier 1853, dimanche après-midi, 2 h.

Il n’y a ni dimanche ni fête pour vous attendre, mon cher petit homme, aussi je prévois que je ne vous verrai pas davantage aujourd’hui que les autres jours, ce dont je ne suis pas plus fière. Je ne sais pas si l’heure de la restitus sonnera jamais pour moi, mais il y aurait de quoi user le Bourdon de Notre-Dame s’ila devait sonner toutes vos heures d’absence. Heureusement pour vous, le gouffre de l’arrière est là pour vous tirer d’embarras. Cette honnête institution n’a pas été inventée pour des prunes, mais bien pour confectionner des mystifications pommées auxb Juju assez stupides pour croire aux restitus des Toto socialistes. Cette opinion exprimée, je reprends mon impassibilité et je vous attends comme si je n’avais jamais fait que cela. Il est probable que tu auras des lettres pour la poste tantôt. Tu devrais bien venir les préparer d’avance le plus tôt possible afin que Suzanne puisse les porter tout de suite en sortant de chez toi. Je ne suis pas sans inquiétude sur le sort de mon dîner, car voilà deux fois qu’il me passe à peu près devant le nez, et j’ai grand peur qu’il ne fasse de même ce soir. Jeûner à la fois du cœur et de l’estomac, c’est peu restaurant, aussi je proteste et je lève le poêlon d’insurrection. Vous voyez, mon amour, que je suis un peu sur ma bouche, mais si j’avais le choix je préférerais être sur la vôtre, au risque de renoncer pour toujours au fricot et au fricandeau, aux ZARICOTS créé par Charles [1]. Cette profession de foi, pur gras, m’est arrachée par la force de la vérité. Maintenant mettez-la à la sauce que vous voudrez et ajoutez-y tout le sel qui lui manque.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 113-114
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « si il ».
b) « au ».


Jersey, 30 janvier 1853, dimanche après-midi 2 h. ½

Tu ne peux pas te figurer combien je suis à courta de toutes espèces d’idées. On dirait que la grande aiguille de mon intelligence s’est arrêtée sur mon amour et qu’elle n’en peut plus bouger. C’est à ce point que je ne peux pas même trouver les mots qui servent à tirer de mon cœur ce qu’il contient de tendresse et d’adoration pour toi. J’en suis vraiment honteuse, comme si c’était de ma faute, et pourtant Dieu sait que je ne suis pour rien dans ce phénomène de stupidité dont j’ignore la cause. Je le subis, à mon grand déplaisir, sans pouvoir me l’expliquer.

9 h.

Ma foi, j’en prends mon parti. D’ailleurs, qu’est-ce que cela peut vous faire l’esprit ou la bêtise des autres et surtout de moi ? Absolument rien. En quoi cela peut-il baisser ou hausser le niveau de votre génie ? En rien. Aussi ce qu’on a de mieux à faire quand on croasse son admiration ou son amour pour vous, c’est de ne pas s’écouter et de pousser son cri comme on peut. C’est ce que je fais ce soir avant d’aller me coucher, juste à l’heure du roucoulement des crapaudes amoureuses. Cette image doit vous plaire et suppléera à tout ce qui manque de pensée dans ce gribouillis. Pour mieux y parvenir dans l’avenir j’en aurai une paire, mâle et femelleb vivants, qui remplaceront mon dialogue avec vous. En attendant je vous souhaite le bonsoir comme une huître que je suis.

BnF, Mss, NAF 16373, f. 115-116
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « à cour ».
b) « femmelle ».

Notes

[1À la date du 8 janvier 1853, Juliette note dans son Journal de Jersey : « jour du cidre de Charles (nom donné par Vacquerie aux thés, soirées, et aux réunions anglaises quelconques) mais le cidre de Charles n’a été fondé qu’en vue des proscrits démocrates et pauvres qui résident dans l’île. » Juliette Drouet, Souvenirs, 1843-1854, texte établi, présenté et annoté par Gérard Pouchain, Éd. des femmes/Antoinette Fouque, 2006, p. 303.

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