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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mars 1853

Jersey, 13 mars 1853, dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon trop bien-aimé, bonjour. Que le sommeil vous soit doux et léger, le tour des remords viendra plus tard. Pour le moment je vous souhaite toutes sortes de beaux rêves, quitte à ce que vous trouviez au réveil le souvenir de ma triste réalité avec son cortège d’embêtements. Hélas ! Mon pauvre adoré, tu n’as pas besoin de cette superfétation d’ennuis dans ce moment-ci car tu en as malheureusement plus qu’un honnête homme, citoyen, démocrate et démagogue n’en pourrait supporter. L’affreux malheur qui vient de frapper Hetzel [1] complique bien douloureusement tes affaires avec lui. Aussi, mon pauvre bien-aimé, je me ferais un cas de conscience de mêler les besoins de ma petite personnalité à des préoccupations si sérieuses, si graves et si inquiétantes. Quand tu seras sorti de cet embarras de charrettes, de poltrons belges et de police bonapartiste [2], je verrai à faire valoir mes DROITS. Jusque-là je te laisse toute liberté, tâche d’en user le moins mal possible dans ton intérêt et celui de mon amour et de mon bonheur. Et puis, mon Victor adoré, donne-moi tous les instants qui ne te sont pas rigoureusement nécessaires pour tes devoirs, tes affaires, tes distractions, tes affections sans le RESTE que je ne te permets avec personne qu’avec moi. Et puis, aimez-moi chemin faisant, et si cela ne vous en coûte pas plus qu’à moi qui vous adore sans m’en apercevoir tant le plia en est pris.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 255-256
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « pli ».


Jersey, 13 mars 1853, dimanche après-midi, 2 h.

Tu n’oublies pas que tu as la poste aujourd’hui, n’est-ce pas mon cher petit homme ? Et, dans ce cas-là, est-ce que tu ne viendras pas écrire auprès de moi ? C’est le seul moment que tu puissesa me donner aujourd’hui. Si tu ne le fais pas je cours grand risque de ne pas te voir beaucoup encore aujourd’hui. Du reste, mon adoré bien-aimé, il faut que le besoin de te voir soit bien irrésistible pour me faire passer par-dessus la terreur que m’inspire la DANSE que tu vas me donner quand tu sauras que la lettre de Durrieu n’a pas encore été mise à la poste. Elle était serrée dans un de tes dossiers si bien que ce n’est que de tout à l’heure que je viens de m’apercevoir de mon oubli. J’en suis consternée mais qu’y faire ? Me soumettre à la volée que j’ai méritée à la condition que tu ne t’en feras pas une contrariété trop vive. Et puis je ne t’en aimerai que plus pour réparer mon crime. En attendant, je me soumets à mon sort, quel qu’il soit, pourvu que tu en viennes décider tout de suite. D’ici là je t’aime avec une sainte venette [3] ce qui ne m’empêche pas pourtant de vous désirer comme si j’avais droit à vos compliments, voire même à votre reconnaissance. Telle est ma grandeur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 257-258
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « puisse ».

Notes

[1Jules Hetzel vient de perdre sa fille, nouvelle qui ravive chez Hugo le douloureux souvenir de la mort de Léopoldine : « Je vois dans la Nation l’affreux malheur qui vous frappe. Je vous écris. Pourquoi faire ? On n’a rien à dire à ces douleurs-là. Je le sais, moi qui les ai éprouvées il y a dix ans, et qui au bout de dix ans sens au fond de mon cœur la plaie sanglante comme au premier jour », Victor Hugo à Jules Hetzel, 13 mars 1853, CFL, t .VIII/2, p. 1049. Cette nouvelle a certainement dû raviver chez Juliette la souffrance de la perte de sa fille Claire Pradier (1826-1846), disparue quasiment au même âge que Léopoldine Hugo.

[2Obstacles divers que Victor Hugo doit affronter pour la publication des Châtiments.

[3Venette : peur.

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