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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 décembre [1839], samedi, midi ¾

Bonjour, mon petit bien-aimé. Bonjour, mon petit homme chéri. Ta tisanea est prête, moi, je suis débarbouillée et au besoin je puis sortir dans un quart d’heure si la fantaisie t’en prenait, ce que je n’espère pas. Je suis encore triste ce matin de ce que tu as mieux aimé faire tes visites sans moi qu’avec moi [1]. Autrefois, tu n’aurais pas eu de ces fausses délicatesses et tu serais venu me chercher tout bonnement et nous aurions été très heureux. Maintenant, nous en sommes aux cérémonies, c’est-à-dire à tout ce qui est contraire à l’amour et au bonheur. Tu le veux ainsi, tu m’affliges et je me résigne, c’est tout ce que je peux faire n’étant pas la maîtresse de tes actions ni de ton cœur. J’ai fort mal dormi toute la nuit et à l’heure qu’il est j’ai des douleurs de cœur à mourir sur la place. Il fait assez beau aujourd’hui : si tu sors, tâche de m’emmener avec toi, je ne prends vraiment pas assez d’exercice et je souffre beaucoup à cause de cela. Baisez-moi, mon Toto, aimez-moi et ne soyez pas si délicat une autre foisb aux dépensb de ma tranquillitéc et de mon bonheur. Je ne sais pas ce que ça veut dire, je ne peux pas respirer, déjà ce matin dans le lit, c’était comme ça, mais c’est fort ennuyeuxd et très gênant. Bonjour, Toto. Toto est bien i. Pensez au manchon de cette pauvre Dédé, entendez-vous, et surtout pensez à m’aimer, à venir le plus tôte possible me voir et recevoir mes caresses. Je vous aime, moi, vieux vilain, et je ne ferais pas des révérences ridicules et hors de saison devant un moment de bonheur passé avec vous n’importe où et n’importe comment. C’est que je vous aime, moi, de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 157-158
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « tisanne ».
b) « au dépend ».
c) « tranquilité ».
d) « ennuieux ».
e) « plutôt ».


14 décembre [1839], samedi soir, 4 h. ¾

En voilà pour jusqu’après minuit, mon adoré, en supposant que tu sois alerte et empressé. En vérité, je suis une femme bien partagée et bien heureuse. De mon côté, je donne tout, du tien, rien, si ce n’est les pièces de cent sous que tu me donnes généreusement et gracieusement. Et quand je regrette les rares occasions où je pourrais être avec toi, je t’importune, tu te fâches, et il s’en faut de très peu que tu me disesa que je t’obsède et que je suis un obstacle à tes affaires, à tes plaisirs et à ta gloire. En vérité, en vérité, le Bon Dieu me devrait bien une prompte et radicale guérison de ce mal qui me tient depuis sept ans et que mon amour, mon abnégation, ma fidélité ne fontb qu’augmenter loin de la diminuer. Je me trouve vraiment très malheureuse et je donnerais volontiers tout ce qui me reste à vivre pour ne pas t’aimer. Ainsi, hier, tu as passé la soirée chez des femmes et quelles femmes ! Aujourd’hui ce sera la même chose, demain tu travailleras, après demain tu recevras et toujours comme ça depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre, jusqu’à ce qu’un pauvre petit mois de voyage vienne me redonner des forces et du courage pour de nouvelles souffrances. N’est-ce pas que je suis bien heureuse et que j’ai bien tort de me plaindre ? Enfin, je tâcherai d’ici à 2 h. du matin de retrouver un peu de ce courage et de cette résignation qui m’abandonnentc dans ce moment-ci, et je serai, sinon aimable, au moins muette et calme. Je ne te dirai pas de penser, moi, car je sens que c’est impossible et que le meilleur porte-voix ne porte pas la voix de l’âme aux oreilles qui n’entendent que des compliments et des admirations sans fin et sans borne. Je penserais à nous pour deux et je t’aimerais pour tout le monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 159-160
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « dise ».
b) « fait ».
c) « m’abandonne ».

Notes

[1Hugo rend visite aux académiciens dans le cadre de sa campagne. Il sera élu en janvier 1841.

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