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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 décembre [1839], lundi matin, 10 h. ½

Bonjour Toto. Bonjour gros To. Vous vous moquez de mon bonjour mais moi je le garde et je m’en sers intrépidement pour vous appuyer sur la bouche un bon gros baiser matinal et quotidien. Si ça vous fait rire, tant mieux pour vous, moi ça ne me fait pas pleurer. Je me suis levée de bonne heure aujourd’hui parce que j’ai été réveillée par un CHIEN ENRAGÉ. J’aurais mieux aimé que ce fût par vous, j’aurais eu moins peur quoique tantôt vous soyez plus méchant et plus enragé que tous les chiens enragés. Je ne sais pas si mon rêve s’effacera mais tel qu’il est, il est fort original. J’en vais profiter pour prendre un bain car y a juste un mois aujourd’hui que je n’en ai pris et en vérité ce n’est pas assez, propreté et hygiène considéréesa. Il fait bien beau ce matin. S’il fait aussi beau que ça tantôt il est probable que je vous demanderai à me faire sortir mais il est probable aussi que vous me refuserez et que je trouverai que vous avez raison. Je vous écris des choses bien insignifiantes et surtout bien mal racontées mais moi je n’ai pas d’esprit et ce n’est pas ma faute. Je vous aime de tout mon cœur et de toute mon âme et je me trouve quitte envers toute la nature des autres qualités du corps et de l’esprit. Baisez-moi, moquez-vous de moi, je vous le permets et je vous y aiderai même, ça m’amusera, pourvu que je vous voie, que je vous baise, et que je vous adore, le reste n’importe peu. Baisez-moi, vieux vilain. Tâchez de venir me tirer de l’eau. J’ai envoyé la lettre à Mme Saint-Firmin [1]. Je vais écrire à Mme Krafft. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 115-116
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « considérés ».


2 décembre [1839], lundi soir, 5 h. ¼

Il faisait pourtant bien beau aujourd’hui, mon Toto, pourquoi n’as-tu pas voulu me faire sortir ? Je ne t’en veux pas mais je ne peux pas m’empêcher de remarquer que tu mets une certaine affectation cruelle à ne me faire sortir qu’une fois tous les quinze jours et quand il pleut à versea. Au reste, tu es le maître de ma vie, de mon cœur et il est bien juste que tu le sois de ma santé. Je t’en laisse donc toute la responsabilité, tant pis pour toi si j’ai mal à la tête et au cœur. J’ai payé mon blanchisseur, ton verre de montre, ma dépense d’aujourd’hui et celle de demain mais il ne me reste que SIX sous dans ma bourse et encore j’ai pris l’argent de Claire. Je te dis cela pour que tu y penses et parce que tu l’exigesb. Mais j’y songe, je suis sûre que le jour où tu feras tes visites aux académiciens sera le mercredi soir et le jeudi de cette semaine ? Bravo alors car c’est ce jour-là que ma pauvre Claire vient me voir et il lui sera bien agréable de passer son temps seule au coin de mon feu. Enfin, il est peut-être utile de lui faire faire son apprentissage guignonnard [2] de bonne heure et à ce sujet-là elle ne peutc pas tomber à une meilleure école que la nôtre. Soir pa. Soir man. Vous devriez revenir tout de suite dès que vous aurez lu ma lettre pour me rabibocher de tous mes ennuis et pour profiter d’une femme toute blanche et d’un lit tout blanc et d’un amour tout rouge car il est en feu. Maintenant, si vous ne venez pas, c’est que vous ne lisez pas mes lettres ou que vous ne m’aimez pas, ce qui est la même chose. Baisez-moi toujours de l’âme et de la pensée et pensez que je vous aime et qu’il y a des jours que je n’ai mis le pied dans la rue. Soir Toto, papa est bien i.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 117-118
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « averse ».
b) « l’exige ».
c) « peu ».

Notes

[1L’acteur Saint-Firmin, qui avait créé le rôle de don César dans Ruy Blas, était mort en février. Sa veuve s’était adressée à Hugo pour demander un secours pour son enfant.

[2Néologisme formé à partir de « guignon », la malchance.

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