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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 novembre [1839], vendredi soir, 4 h. ¾ a

Je viens d’écrire la date et l’heure sur une demi-feuilleb de papier croyant qu’elle était entière. Je vous en préviens à fin que votre esprit soupçonneux ne tire pas des conséquences stupides et injurieuses d’une chose si simple et si naturelle. J’ai été triste, tout à l’heure, quand tu m’as dit adieu parce que tu m’as dit des vilaines paroles ; ce n’est jamais le moment de m’en dire mais encore moins dans celui où tu t’en vas et où je ne sais pas quand je te reverrai. C’est à décourager un ange que ta manière avec moi et j’en suis à me demander s’il est possible d’aimer une femme qu’on n’estime pas ? Car si tu m’estimais, tu ne serais pas sans cesse à suspecter mes paroles, mon silence, mes actions, ma conduite ou si tu le faisais, honnête et fidèle comme je le suis, tu me rendrais justice tandis que jamais, même au milieu des caresses les plus tendres, les plus intimes et les moins suspectes, tu n’es sans me dire des paroles douloureuses et décourageantes. Je te le dis souvent : on croirait que tu as promis à quelqu’un de lasser mon amour par des souffrances de tous les jours et de tous les moments mais j’espère que tu n’y parviendras pas. Je souffre, j’ai le désespoir dans le cœur mais je t’aime. Jusqu’à présent c’est ainsi et j’espère pour nous que ce sera toujours ainsi car je tiens encore plus à mon amour qu’à ton estime car ton estime n’est qu’une pauvre aveugle qui ne distingue pas le jour d’avec la nuit, la chandelle du soleil et une honnête femme d’une catin. Mon amour est plus clairvoyant et s’est épris tout de suite de toutes les perfections de votre corps et de votre âme et ne vous a jamais confondu avec aucune bête humaine. Je vous aime, Toto. Tourmentez-moi, désespérez-moi, vous ne ferez pas que je ne vous aime pas de toute mon âme. J’ai mal à la tête, mon petit homme et les penséesc qui la traversent dans ce moment-ci ne sont pas faites pour la guérir. Aussi, je mets la main sur mon front pour l’empêcher de penser et j’ouvre mon cœur à tout ce qu’il y a de bon, de doux à t’aimer. Jour, Toto, jour, un petit o, papa est bien i. Je l’aime, papa. Je l’adore, mon amour. Jour on jour. Nous avons été bien heureux ce matin, tâchons de l’être encore la nuit et la matinée prochaine. En attendant, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 53-54
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) Deux croix sont inscrites entre la date et le corps de la lettre.
b) « demie feuille ».
c) « pensers ».

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