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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 août [1839], mercredi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon soleil, bonjour ma lumière, bonjour mon génie, bonjour tout ce qui brille, tout ce qui réchauffe, tout ce qui éclaire, tout ce qui étonne, tout ce qu’on admire et tout ce qu’on adore. Bonjour, bonjour. Je ne suis pas encore revenue à mon état naturel, mon pauvre esprit bat les murs de sa prison comme un homme sur ceux de la rue où il passe, mais à travers mon ivresse je ne perds pas le sentiment de ta grandeur ; et l’adoration de mon âme ne faita pas tort à mon admiration. Quand je t’aime je sens que je t’admire, et quand je t’admire je suis en extase. Merci, mon adoré, du bonheur que tu m’as donné hier au soir. Toutes les merveilles de ton génie sont enchâssées dans ce premier acte [1], comme ceux de la création l’étaient dans le paradis terrestre. Tu t’es surpassé toi-même, il est vrai qu’il n’y avait que toi ou Dieu qui pût le faire. Mon Dieu que c’était beau : tous ces admirables vers repassent dans mon pauvre esprit comme des visions. Je ne suis pas encore redescendue du beau ciel de ta poésie. Je suis comme dans un rêve lumineux et je ne veux pas me réveiller. Oh si tu venais dans ce moment-ci, je baiserais tes petits pieds. Je t’adoreraisb, je ferais toutes les raisonnables extravagancesc de l’amour. Je t’aime tant. Baise-moi, aime-moi, et ne te moque pas de moi. Je sens comme une reine et je parle comme une chiffonnière, ce n’est pas ma faute.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 227-228
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « fais ».
b) « adorais ».
c) « extravaguances ».


14 août [1839], mercredi soir, 6 h. ¼

Ma joie est mélangée d’inquiétude, mon adoré, car tu es souffrant. J’aurais pourtant été bien heureuse d’ajouter au bonheur d’hier celui de ce soir. Peut-être seras-tu mieux tantôt, je vais prier le bon Dieu pour cela. J’ai envoyéa chercher deux bouteilles de vin de Bordeaux afinb que tu ne sois pas ou plutôt que nous ne soyons pas à secc si par hasard il nous plaisait de célébrer le VERRE EN MAIN la naissance de MAITRE GORJU et du noble comte JEAN DE CREQUI [2]. Je suis femme à M’IVRER en leur honneur. Pauvre adoré, je ris dans l’espoir que tu n’es plus malade, mais au fond de mon rire il y a une petite pointe de chagrin que je ne peux pas étouffer tout à fait. Ne sois pas malade, mon adoré. Retarde plutôtd de quelques jours ton travail que de tout hasarder par une imprudence. Je suis vraiment tourmentée de ce mal de tête tenace. Je donnerais tout au monde pour qu’il fût à moi et non à toi, parce que moi je n’aurais qu’à me coucher et tout serait dit tandis que toi c’est très inquiétant. Je veux absolument copier mon premier acte aussitôt que Mlle Didine aura fini. Je veux l’avoir. Hier j’étais folle. J’aurais voulu que personne que moi ne touchât même des yeux ce précieux manuscrit. Aujourd’hui je suis trop heureuse de passer après tout le monde, et je veux copier mon premier acte. Je t’aime mon adoré, ne sois pas malade, je t’en prie à genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 229-230
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « envoyer ».
b) « à fin ».
c) « secs ».
d) « plus tôt ».

Notes

[1Hugo compose Les Jumeaux, qu’il ne terminera pas.

[2Personnages des Jumeaux.

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